PERSONNAGES CELEBRES Alphonse DAUDET (1840-1897)

Source : https://www.corsicamea.fr/personnages/daudet.htm

Le séjour en Corse d’Alphonse Daudet s’étale de décembre 1862 à mars 1863.

A cette époque, Daudet est encore un inconnu et la Corse est un pays qui semble s’être limitée aux îles Sanguinaires et à son phare. Les « Lettres de mon moulin« , qui paraîtront en 1866, témoignent d’une source d’inspiration qui transparait également dans l’immortel, dans Rose et Ninette ou encore dans contes du lundi.

Daudet logera près de la place des Palmiers chez Emmanuel Arena qui se fait appeler Emmanuel Arène. Ce dernier n’hésitera pas d’ailleurs, un peu plus tard de se montrer très critique envers son hôte qui avait porté des jugements particulièrement déplaisants sur la Corse et les Corses.

 

Dans son roman l’Immortel Alphonse Daudet a écrit :  » […] Toutes les mêmes, ces grandes familles corses : crasse et vanité. Ça mange dans de la vaisselle plate à leurs armes des châtaignes dont les porcs ne voudraient pas […]

Ce fut après avoir eu connaissance de cette phrase où la Corse était si honteusement calomniée qu’Emmanuel Arène, fit paraître dans le journal la République Française, au mois de septembre 1896, l’article suivant qui avait pour titre :

L’ESTOMAC DE M. DAUDET : « Ceci, qu’on veuille bien le croire n’est pas un article bibliographique, encore moins une réclame pour le dernier livre de M. Alphonse Daudet, dernier en date et dernier en valeur, et « Immortel » seulement sur la couverture. J’avais lu, dans 1’ « Illustration » quelques tranches de ce roman qui m’avaient ôté l’envie de le lire en volume. Quelques-uns de mes compatriotes, dans la belle oisiveté de l’été corse ont eu plus de courage, et c’est dans un article d’un journal de là-bas, le Petit Ajaccien, que je trouve une phrase du livre, spécialement dédiée à la Corse, et qui est la carte de visite de M. Alphonse Daudet à un pays qui l’a reçu, qui l’a logé, qui l’a nourri, mais qui a été, je le vois, impuissant à le blanchir.

Le journal qui relève cette phrase n’est pas de mes amis, quoique rédigé par un camarade d’enfance : il m’a consacré bien des articles hostiles, mais je les lui pardonne volontiers pour la généreuse ardeur qu’il met à défendre le pays commun pauvre terre éternellement méconnue, battue par la calomnie comme par les vagues de son rivage; prodiguant, sans jamais se lasser, son bon air, son beau soleil, aux malades qui la visitent; leur rendant assez de forces, assez de santé, pour que rentrés à Paris, il puissent librement cracher sur elle, d’une salive purifiée par le climat de la Corse, et où il n’y a plus d’autre bacille que celui de l’ingratitude. Voici la phrase de M. Daudet : « Toutes les mêmes, ces grandes familles corses : crasse et vanité. Ca mange, dans la vaisselle plate à leurs armes, des châtaignes dont les porcs ne voudraient pas ». Je ne sais pas si de nos châtaignes corses les porcs ne voudraient pas, mais, sauf son respect, il fut un temps où M. Daudet en voulait bien. Non pas certes le Daudet d’aujourd’hui, dont on ne compte plus les éclatants succès en librairie ni les chutes retentissantes au théâtre, qui, suivant sa langue nouvelle, « moque » l’Académie, laquelle plus fidèle à la grammaire, se moque de lui; qui joue fort agréablement le myope du pont des Arts, dans l’espoir que l’institut se mettra aux fenêtres; mais un certain Daudet qui, comme celui-ci, s’appelait Alphonse, qui n’avait encore écrit que quelques lettres du moulin de Paul Arène, et que nous vimes débarquer un jour a Ajaccio, intéressant et pâle, maigre comme un poète, courant après le soleil et en trouvant partout, sur sa tête et sous ses pas, tout le long de notre route des Sanguinaires, près de ce phare qui tourne, moins vite assurément que M. Daudet, dans ce joli jardin de Barbicaja où il a cueilli tant de belles oranges et où il ne serait pas surprenant qu’après quelques livres pareils il finit par pousser des pommes cuites.

A ce Daudet qui venait de France et qui, alors, en parlait la langue, nous fîmes tous, bons français que nous sommes, quoique si négligés, l’accueil cordial qui, chez nous, court les rues. L’hospitalité corse, ce patrimoine de tous les partis, se mit en frais. Il n’y a pas beaucoup de grandes familles en Corse, mais j’en sais une, la famille Pozzo-di-Borgo, qui fit particulièrement fête au visiteur; les femmes distinguées et  les galants hommes qui la composent s’ingénièrent à distraire le malade et à intéresser le voyageur. Je croirai difficilement que lorsque M. Daudet y dînait, cinq ou six fois la semaine à l’ordinaire, on y ait fait une telle débauche de châtaignes; ce qui est certain, c’est qu’elles n’ont pas pesé lourd à l’estomac de l’invité. M. Daudet, autant qu’il me souvient, ne mangeait guère; on le croyait au régime, il était à l’affût et à travers son lorgnon narquois il piquait, dans les assiettes, des notes pour ses romans futurs; les assiettes, nous dit-il, étaient plates; les notes s’en sont ressenties. J’eus même l’honneur, auquel je suis moins sensible aujourd’hui de voir à ma modeste table de famille l’aimable compagnon qu’on s’arrachait. Je ne suis pas, il est vrai, d’une grande famille de la Corse, et les aïeux de M. Daudet étaient depuis longtemps revenus des croisades que les miens faisaient â peine leurs préparatifs. Je ne me souviens pourtant pas qu’on ait dévalisé pour la circonstance l’unique châtaignier de mon jardin. Il reste des châtaignes; j’en ai revu â mon dernier voyage; elles attendent, sur l’arbre, quelque autre estomac léger, et il en peut venir encore, elles ne se décourageront pas, châtaignes infatigables et bienfaisantes dont nous emplissons tant de poches vides et qui nous retombent ensuite sur le nez !

Il pourra, longtemps encore, passer bien des Daudet en Corse; la Corse ne se guérira pas. Elle restera l’incorrigible pays ouvert à tous comme une auberge, avec ses familles, toujours nombreuses, sinon grandes, ses fils qui peuplent tous les régiments de France, tous ceux qui, partis de ses bords, prêtres, soldats ou fonctionnaires, portent partout, les traditions, du sol natal, le respect des pays, où ils passent, la reconnaissance pour les services reçus, le souvenir du bien et le mépris du mal. L’Immortel aura fini de vivre que là-bas, sous l’invariable ciel de Corse, les vieux de la montagne ou de la plage, les pauvres mamans lointaines accueilleront, avec la même bonne humeur, la même bonté souriante, le voyageur que le hasard leur envoie et qui est pour tous, en nos pays comme l’image de l’absent qu’on attend, auquel on pense toujours, dans toutes les familles corses.

Demain, comme aujourd’hui, le passant deviendra notre hôte. On lui donnera la meilleure chambre, la plus chaude, pour que le serpent s’y réchauffe; on lui servira, faute de mieux, les meilleures châtaignes, sans crainte d’engraisser, une fois de plus, dans le ventre de quelque bohème, le roman que dissimulait sa maigreur ! E.ARENE

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