LES BANDITS CORSES Matteu POLI (1875-1903)

Source : https://www.corsicamea.fr/bandits/bandit-poli-mathieu.htm

 

Mathieu Poli est né à Balogna (canton des Deux-Sorru) le 08 novembre 1875.

Associable, pervers, colérique et violent, il montre dès son plus jeune âge des signes qui le prédisposent à un sombre avenir. Impossible à contrôler, sans cesse réprimandé mais recommençant toujours ses mauvaises actions, il répète sans cesse: « Quand je serai grand, je serai bandit« …

Le 29 mai 1894, à peine âgé de dix-neuf ans, il est condamné à deux ans de prison pour menaces de mort, port d’arme et violences et purge sa peine à la prison centrale de Nimes.

Le 10 juillet 1896, à peine sorti de prison et de retour en Corse, il menace le curé de Coggia avec son fusil et se fait remettre tout l’argent du presbytère.

Cherchant querelle à n’import qui, le 22 juillet, au cours d’une bagarre, interpellé par les gendarmes, il s’enfuit en tirant sur eux et prend aussitôt le maquis pour faire équipe avec le bandit Paoli, dit Cicchettu, recherché pour deux meurtres.

Le 26 octobre, les deux bandits rançonnent  la recette des postes de Cargèse.

Excédée par les agissements de celui qu’elle qualifié de bandit « percepteur« , la population se fait contre lui l’alliée de la force publique et le 03 novembre, sur la route de Sagone, Matteu Poli, son complice et leur guide, sont surpris par la police de Vico. Cicchettu et le guide, un dénommé Poli, sont abattus mais Matteu parvient à s’enfuir.

Le 14 février 1897, en compagnie d’un nouveau complice, le bandit Cerati, qu’il faisait passer pour le bandit Giovanni de Sartène à cause d’une vague ressemblance et qu’il présentait avec fierté comme un contumax avec 19 meurtres à son actif, il se rend à Balogna chez son oncle Leca Jean-Baptiste dans le but de le contraindre à renoncer à toute prétention sur la succession de son grand-père décédé.

Jean-Baptiste n’est pas là et c’est Antoine, son frère, inquiet et peur rassuré par leur présence, qui reçoit les bandits et qui leur offre quand même à boire selon les loi de l’hospitalité Corse. Le ton monte aussitôt; Poli demande de façon péremptoire à Antoine de convaincre sans délai son frère Jean-Baptiste de renoncer à la succession. Antoine refuse, des propos violents sont échangés, Cerati saisi le pauvre Antoine à la gorge tandis que sa femme se met à hurler.

Aux appels « au secours » de sa belle soeur, Jean-Baptiste Leca qui a eu vent des mauvaise intentions de son neveu, s’arme d’un fusil et accourt. Poli, surpris, fait feu à deux reprises sans l’atteindre. Leca riposte, tue Cerati d’une balle en plein front alors qu’il celui-ci le mettait en joue tandis qu’Antoine parvient à désarmer Poli qui est mis hors d’état de nuire jusqu’à l’arrivée de la Police.

La population apprend avec soulagement le verdict de la cour d’assise de Corse lorsque le 07 décembre 1897, Matteu Poli est condamné aux travaux forcés à perpétuité et envoyé au bagne de Cayenne. Une lourde peine qu’il juge excessive, lui qui n’a pas fait couler le sang dans cette affaire et qui estime que les déclarations mensongères de son oncle sont la cause de cette sentence injuste. Plein de haine, désormais, il n’a plus qu’une idée fixe qui le poursuivra durant son séjour au bagne: se venger.

Le 28 août 1900, après 4 tentatives, il finit par s’évader et à la fin du mois de janvier 1902 il débarque en Corse et se rend secrètement (peut-être pas pour tout le monde) à Balogna  pour épier Jean-Baptiste Leca.

Quelle à été sa vie au cours de ces deux années dont on ne sait rien? Comment a-il pu voyager et traverser l’Europe ? Comment a-t-il survécu ? Nous ne saurons jamais.

On dit qu’à son arrivée à Toulon il fut aidé ses frères Paul et Pascal mais cela n’a jamais été prouvé au cours de l’instruction.

Au village, Jean-Baptiste Leca, en inimitié avec la famille Poli, vit dans la crainte et ne sort toujours armé.

 

Le 26 janvier 1902, en début d’après-midi, après avoir travaillé toute la matinée dans sa propriété d’Ogliastellu, il se met en route en suivant à travers le maquis, le sentier qui conduit à Balogna. Soudain, des coups de feu éclatent et le vieux Leca s’écroule atteint par plusieurs décharges de chevrotine à la poitrine et dans le dos. Il décèdera quelques jours plus tard après avoir désigné ses neveux, Paul et Pascal Poli comme étant ses meurtriers. Malgré leurs protestations d’innocence, les deux frères sont arrêtés et incarcérés.

Dès lors, Matteu Poli ne cesse d’écrire au procureur de la république pour s’accuser du meurtre en précisant qu’il ne s’est évadé du bagne de Cayenne que dans ce but; mais son histoire est incroyable, il n’est pas pris au sérieux et la gendarmerie s’obstine à nier son retour.

Le 20 mai 1902, la voiture qui conduit le préfet de Corse, Jean-Joseph-Felix Cassagneau, accompagné de plusieurs officiers ministériels et du secrétaire général de la préfecture avec son épouse, est stoppée au col de Sevi par un homme sorti des fourrés qui interpelle le préfet et qui lui demande respectueusement de témoigné qu’il est bien Mathieu Poli, forçat, évadé de Guyane pour se venger de son oncle Jean-Baptiste Leca, qu’il est seul à avoir commis le meurtre et que ses frères ne sont pour rien dans cet assassinat. Le préfet refuse de s’acquitter de cette tâche et promet, s’il ne se livre pas, de déployer contre lui toutes brigades de gendarmerie de la région. Poli hausse les épaule, salut le préfet et retourne dans le maquis de la même manière qu’il en est sorti.

 

Lors du procès, le 06 juin 1903, les membres du jury, sans doute intimidés mais manquant surtout sérieusement de preuves, déclarent les accusés non coupables. Pascal et Paul Poli sont acquittés. Cependant, la vendetta n’en est pas terminée pour autant.

Les fils de Jean-Baptiste Leca, Toussaint et Jean-Dominique, qui travaillent sur le continent, décident de rentrer en Corse pour venger leur père. Les frères Poli ne l’ignorent pas et songent à quitter le pays, non par peur, mais pour éviter un nouveau bain de sang. C’est pourquoi le 12 juin 1903, ils adressent à la seule femme qui a assisté à l’entretient de leur frère avec le préfet, une lettre (reproduite dans son intégralité par Jean De Favardin dans son récit « L’aventure de Mathieu Poli »).

 

«Ajaccio, le 12 juin 1903.
Madame,
Pardonnez-nous si nous prenons la liberté .de vous déranger dans vos beaux moments; mais,.hélas ! la nécessité nous y oblige, ayant le grand malheur d’être les frères du bandit Poli Mathieu, de Balogna.
Après avoir été condamné à la perpétuité, il s’est évadé delà Nouvelle-Calédonie; il est arrivé dans son pays natal le 23 janvier, où il a détruit son oncle Leca pour vengeance sans nous avertir, n’ayant pas de confiance en nous. Nul doute que s’il s’était présenté à nous, nous aurions sauvé ce grand malheur qui est notre perte. Le même jour nous avons été inculpés comme complices par des gens ennemis de mauvaise foi. Après cinq mois de prévention, le jury a reconnu notre innocence, nous voici en liberté depuis le 6 courant, sans savoir quel parti prendre.

Les enfants du mort nous attendent à Balogna pour nous donner la mort. Faut-il accepter ou se défendre? Voici le dilemme qui se pose devant nous. Nous préférons repousser le combat qui nous est offert, en désertant le toit paternel et là Corse; mais pour cela il nous faut des moyens d’existence, ce qui nous manque; nous acceptons n’importe quelle place ou emploi avec résignation de servir fidèlement, au Continent ou à l’étranger.
«Vous,: madame, qui êtes généreuse et protectrice des malheureux offensés, soyez assez bonne de nous accorder votre protection en nous regardant en pitié ; nous vous en garderons une reconnaissance éternelle et vous aurez accompli un acte d’humanité et sauvé de grands malheurs.
 »

Leur demande si singulière ne put être acceptée et les démarches qui furent entreprises avec l’appui même du préfet pour engager des pourparlers, ne parvinrent pas à faire fléchir les fils Leca qui restèrent déterminés.

Le 13 juillet 1903, Pasquale Poli est abattu au pont de Mela, à quelques centaines de mètres de calcatoggio.. Quatre balles ont été tirées et le propriétaire du cabriolet qui assurait le service Ajaccio-Calcatoggio est également tué. Son crime accompli, Toussaint Leca se constitue aussitôt prisonnier à la Gendarmerie de Calcatoggio. Il sera acquitté le 28 novembre 1903.

Entre temps Matteu Poli, encouragé par l’emprisonnement de son principal rival a recommencé mais traqué par les gendarmes et par ses ennemis qu’il craint plus encore, ne cesse de se déplacer en terrorisant et en rançonnant la population.

Le 14 août 1903, on peu lire dans le journal local que, dans la nuit du 12 au 13, vers deux heures du matin, le bandit Poli Mathieu à été abattu entre Vicu et Guagnu par une patrouille de gendarmerie commandée par le maréchal des logis chef Costa. Lors de l’expertise, la balle meurtrière extraite du corps ne provenait pas des armes utilisées par les gendarmes… et la justice se rendant compte qu’il avait été tué probablement par les gendarmes après sa mort, préféra laisser cette constatation embarrassante sans réponse.

La population est soulagée, mais les causes de la mort du bandit restent troubles et plusieurs hypothèses ont été émises:

Un « lamentu » composé après la mort de Mathieu Poli raconte que ce dernier aurait été empoisonné en mangeant des figues offertes par son guide Pasquale Massoni, berger à Pastricciola avec lequel il aurait eu quelques jours auparavant une dispute.

 

Il est cependant plus probable que ce soit Jean-Dominique Leca qui, pour l’honneur de la famille, ait poursuivi l’oeuvre de vengeance commencée par son frère. Voici d’ailleurs sa propre version des faits que l’on peut considérer comme authentique :

 

« Postés dans le passage entre les vallées du Cruzzini et du Liamione, au col de la Messicela (qui se trouve entre les communes d’Ortu et de Pastricciola – Guagnu village), les Leca et les gendarmes, après huit jours d’attente, commençaient à désespérer de voir apparaître le bandit. Dans la nuit du 12 au 13 août [1903]- après une attente de deux à trois heures après minuit, Ghjuvan Dumenicu et son cousin ‘Bicchirinu’ s’avancèrent jusqu’à un rocher situé à une vingtaine de mètres en avant de leur poste. Bicchirinu, pieds nus, grimpa sur le rocher. A ce moment, ils perçurent un bruit de pas très proches dans le vallon. Ghjuvan Dumenicu regagne rapidement son poste. Son cousin a juste le temps de se glisser dans une fente de rocher d’où il ne peut être ni vu ni atteint. Trois hommes, suivis à distance par deux autres surgissent devant le poste. La lune les éclaire. Le bandit Poli s’écrie alors avec un geste de menace: « Ava po s’elli a si sentenu, ch’elli venganu i Leca! » Cette exclamation lui est fatale car elle permit à Ghjuvan Dumenicu de distinguer Matteu des deux autres. Un coup de feu éclate. Le bandit a réussi d’un bond à se réfugier derrière un rocher mais il s’est affaissé et râle; la balle de Ghjuvan Dumenicu lui a traversé le coeur. Ses complices prennent la fuite. Les gendarmes accourent et tirent une salve dans la partie basse, restée visible, du corps du bandit. »

 

La vendetta est désormais éteinte et les deux frères Toussaint et Dominique Leca peuvent regagner le continent pour y reprendre leur travail tandis que Paul (le frère du bandit) et Antoine (le frère de Leca) peuvent enfin vivre en paix dans leur village de Bologna.

 

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