Source : https://www.corsicamea.fr/cuisine/cuisine-corse.htm
En des temps que je n’ai pas connu, la femme Corse occupait la plus grande partie de ses multiples tâches ménagères, à faire la cuisine pour une nombreuse famille. Les repas étaient pris autour du fucone. Chacun sortait son couteau de sa poche. La vaisselle était rare et une tranche de pain, servait d’assiette. La femme restait debout pour surveiller le feu et servir les siens. Elle ne s’asseyait pour manger que lorsque tout le monde avait terminé son repas…
Je revois encore la salle principale au centre de laquelle trônait le grand fucone. Au dessus de la flamme qui ne s’éteignait presque jamais durant l’hiver, il y avait, suspendue à une longue chaîne (catena) accrochée à une poutre noircie par les ans, une lourde marmite en fonte (a pignata) ou un chaudron (a paghjola) dans laquelle grand-mère faisait mitonner durant des heures la plus merveilleuse des soupes. Cette soupe, constituée selon la saison d’une grande variété de légumes du jardin, était si nourrissante qu’elle était le plat unique du repas du soir qui se terminait toujours par le fromage.
Les matins d’hiver, très tôt avant de quitter la maison, mon oncle se contentait d’un bol de café noir, parfois, d’un bol de café au lait avec du pain trempé. Puis, vers neuf heures, il revenait casser la croûte (cullazione).
En été, la cullazione était prise à l’extérieur, au bord de la rivière ou sous les châtaigniers. Mon oncle sortait de sa musette (a musetta) son couteau qui ne le quittait jamais, un beau morceau de pain qu’il accompagnait d’un morceau de fromage, d’une tranche de lard ou de jambon (prizuttu) et d’un bon verre de vin de la vigne.
Pour ne pas perdre de temps, à la saison de la dirasquera (débroussaillage), le repas du midi (a merenda) constitué de tranches de polenta ou d’une miche de pain dont chaque tranche est imprégnée du jus d’un figatellu qu’on réchauffe sur une flamme improvisée, était également bien souvent pris en plein air.
A table, je me souviens que chacun avait sa place. Personne ne prenait la chaise de grand-père (u patrone di a casa) et même s’il était absent, son assiette était mise. Quand il est mort, sa place est revenue symboliquement à son fils.
Jamais on ne commençait un repas avant que tout le monde ne soit assis et jamais on ne quittait la table sans que la permission ne nous en ait été donnée. La miche était le pain traditionnel car elle avait la vertu de se conserver longtemps dans la meria (le bahut). Avant de l’entamer, on faisait sur son dos une croix avec le couteau en signe de respect. On veillait ensuite à ne pas reposer le pain sur la table en le tournant à l’envers; grand-mère disait alors que c’était « u pane di u boia » (le pain du bourreau).
S’il arrivait que quelqu’un rote à table, ça n’était pas considéré comme un comportement grossier. Au contraire, cela voulait dire que le repas était savoureux et on lui répondait: « bon pro ti faccia ! » (que celà te profite).
Par contre, si quelqu’un faisait le difficile on disait : « un vole chè pane di u sabatu sera! » (il ne veut que du pain du samedi soir!).