Source : https://www.corsicamea.fr/personnages/glatigny.htm
Joseph Albert Alexandre Glatigny est né à Lillebonne, petite commune de la Haute Normandie, le 21 mai 1849.
Après avoir été clerc de notaire, Typographe et comédien raté, le métier de poète vagabond et aventurier convint enfin à ses aspirations. On lui doit notamment les recueils suivants : Les Vignes folles, Les flèches d’or, Le fer rouge, nouveaux châtiments (poèmes sur la révolution, à lire sur Gallica) et le fameux recueil érotique Joyeusetés galantes et autres du vidame Bonaventure de la Braguette.
Grand, robuste, un corps mal taillé, les pommettes saillantes, le sourire affectueux et la tête pleine de rêves enchantés, il traînait en haillons sur les routes, brisé par la faim, le froid et la maladie partageant sa misérable existence avec Toupinel, un chien griffon, maigre, décharné comme son maître et qui, à sa mort, fut remplacé par Cosette, une petite chienne sans race qui l’accompagnait partout et qui allait le suivre sur les routes de Corse.
A l’automne 1868, après avoir joué sur le continent plusieurs pièces sans succès, lorsqu’on lui propose de monter et de jouer Gringoire au théâtre de Bastia, il n’hésite pas un seul instant. La représentation est un échec et la tournée est annulée. Il vivote quelques jours à Bastia puis décide de se rendre à Ajaccio à pied, accompagné de sa chienne Cosette.
Dans une lettre où le pauvre comédien raconte avec une gaîté courageuse les souffrances et les mauvais traitements qu’il a endurés à Bocognano, il ajoute : « Ma pauvre petite chienne a reçu un coup de pied dans le ventre qui a failli la tuer. Pour le coup, j’ai pleuré ». Les circonstances dans lesquelles Cosette fut traitée avec cette brutalité sont singulières et méritent d’être rappelées.
Le 01 janvier 1869, Glatigny, qui se trouvait alors à Bocognano, fait halte dans une auberge dans laquelle, pour son malheur, se trouve un gendarme qui, surpris par son allure pitoyable, l’arrête aussitôt et le met au cachot avec sa chienne Cosette. Il y restera enfermé quatre jours avec l’inculpation d’avoir assassiné un magistrat. Le gendarme l’avait pris pour Charles Jud, un célèbre criminel des trains qui n’a pas cessé, pendant cinq années, de faire trembler la France de peur et qui s’était rendu insaisissable grâce à une maîtrise parfaite du déguisement et du changement d’identité (Charles Jud a été condamné par contumace à la peine de mort mais n’a jamais été pris).
Cette incroyable arrestation, relatée dans un procès verbal dans lequel on peut lire ceci : « Nous avons remarqué cet individu dont son aspect nous a paru fugitif. », fut d’autant plus odieuse que la victime, épuisée par plus de dix ans de jeûne et de misère, était alors dans un état lamentable de délabrement. Aux trois quarts aveugle, perclus de rhumatismes, brûlé de maux d’estomac, consumé de phtisie, Glatigny avait usé son pauvre corps jusqu’à la dernière fibre et son état s’aggrava dans la prison malsaine de Bocognano au point qu’il finit par être transféré à Ajaccio où le procureur impérial le fit aussitôt remettre en liberté. Parvenu tant bien que mal à Nice, il décide d’écrire le récit de sa mésaventure. De cette période Corse, naîtra : « le jour de l’an d’un vagabond » – récit plein d’humour d’un poète désargenté.
Peu rancunier, il retourne en Corse en 1969. Victor Hugo qui a pour lui beaucoup de sympathie, lui envoie des secours et intervient auprès du journal le gaulois qui lui passe commande d’un compte rendu des fêtes du centenaire. Au cours du mois de septembre, Glatigny est très malade et un médecin d’Ajaccio diagnostique une grave anémie. Il l’envoie se soigner à la montagne, à Sainte Lucie de Tallano d’où il écrit en octobre 1869 à celui de ses amis, qui se cache sous le nom de Job-Lazare :
« Je crains bien de ne plus avoir à vous écrire. Il m’est impossible de quitter la Corse, faute d’argent, aucun des journaux à qui j’ai envoyé de la copie ne m’ayant répondu. D’un autre côté, je suis plus malade que jamais ; pas de médecin, rien, isolement complet, et la poitrine dans un état qui me fait croire que ça ne durera pas longtemps. Portez-vous mieux que moi. Je m’arrête pour cause d’éblouissements dans les yeux. Votre ami bientôt feu, ».
Grâce à des dons et à des souscriptions d’amis écrivains et poètes, il parvient cependant à quitter la Corse.
De ses séjours, outre le jour de l’an d’un vagabond, il rapportera deux poèmes : Une exécution et Dans le maquis, et une nouvelle : La vengeance de Santa-Luccia.
De retour au pays normand en 1870, il y rencontre une jeune fille qui fuyait l’invasion allemande, Mlle Emma Dennie. Elle l’aima pour son bon coeur, pour son talent de poète, et surtout parce qu’il était malheureux. Elle consentit à l’épouser et, atteinte du même mal, elle se fit sa garde-malade. Cette charmante femme donna un foyer au pauvre vagabond. Après la guerre, ils allèrent tous deux habiter à Sèvres, près de Paris, une petite maison au pied du coteau, sur le bord d’un chemin en pente, raviné par les pluies. C’est là qu’Albert Glatigny mourut le 16 avril 1873, dans sa trente-cinquième année.
Albert Glatigny avait écrit :
…Que l’on m’enterre un matin
De soleil, pour que nul n’essuie
Suivant mon cortège incertain,
De vent, de bourrasque ou de pluie ;
Car n’ayant jamais fait de mal
A quiconque ici, je désire,
Quand mon cadavre sépulcral
Aura la pâleur de la cire,
Ne pas, en m’en allant, occire
Des suites d’un rhume fâcheux
Quelque pauvre dévoué sire
Qui suivra mon corps de faucheux.
Ses amis le conduisirent au cimetière de Sèvres par une de ces matinées de printemps, mêlées de pluie et de soleil, qui ressemblent à un sourire dans les larmes.
Sources : Albert Glatigny
Par Anatole France, de l’Académie française..