PROJET DE CONSTITUTION POUR LA CORSE, 1765 Jean-Jacques ROUSSEAU
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Jean-Jacques Rousseau, qui observait avec sympathie la lutte de Paoli, a correspondu avec Matteo Buttafoco, un officier corse au service de la France. Celui-ci, qui entretient toujours de bonnes relations avec Pasquale Paoli, demande à Rousseau d’écrire un projet de constitution pour la Corse. Cette tâche, le Genèvois l’accomplit de janvier à septembre 1765.
La Corse de Paoli séduit les philosophes des Lumières. La sauvagerie de ses habitants relève alors plus de l’état de nature édénique cher à Rousseau que de la barbarie :
« Peut-être le peuple corse est-il resté plus près de la nature que la plupart des peuples d’Europe. Son extrême sobriété, son mépris du luxe, son assurance que ne peut intimider ni le rang ni la puissance, sont des traits perdus depuis longtemps chez les nations les plus civilisées « , remarquera à son tour l’abbé Gaudin, vicaire général du Nebbio, dans son Voyage en Corse (1787).
Entre temps, la résistance de Paoli et de ses milices à la puissance armée de Louis XV, en 1769, a mis la Corse au premier plan de l’intérêt des Européens éclairés.
« Dans quelque vue que la nation corse veuille se policer, la première chose qu’elle doit faire est de se donner par elle-même toute la consistance qu’elle peut avoir. Quiconque dépend d’autrui, et n’a pas ses ressources en lui-même, ne saurait être libre. Les alliances, les traités, la foi des hommes, tout cela peut lier le faible au fort, et ne lie jamais le fort au faible.
Ainsi, laissez les négociations aux puissances, et ne comptez que sur vous. {…} Sans amis, sans appui, sans argent, sans armée, asservis à des maîtres terribles, seuls vous avez secoué le joug. Vous les avez vus liguer contre vous, tour à tour, les plus redoutables potentats de l’Europe, inonder votre île d’armées étrangères ; vous avez tout surmonté. Votre seule constance a fait ce que l’argent n’aurait pu faire ; pour vouloir conserver vos richesses, vous auriez perdu votre liberté. Il ne faut point conclure des autres nations à la vôtre : les maximes tirées de votre propre expérience sont les meilleures sur lesquelles vous puissiez vous gouverner.
Il s’agit moins de devenir autres que vous n’êtes, que de savoir vous conserver tels. Les Corses ont beaucoup gagné depuis qu’ils sont libres ; ils ont joint la prudence au courage, ils ont appris à obéir à leurs égaux, ils ont acquis des vertus et des mœurs, et ils n’avaient point de lois; s’ils pouvaient rester ainsi, je ne verrais presque rien à faire. Mais quand le péril qui les a réunis s’éloignera, les factions qu’il écarte renaîtront parmi eux ; et, au lieu de réunir leurs forces pour le maintien de leur indépendance, ils les useront les unes contre les autres, et n’en auront plus pour se défendre, si on vient encore les attaquer. Voilà déjà ce qu’il faut prévenir. Les divisions des Corses ont été de tous temps un artifice de leurs maîtres pour les rendre faibles et dépendants ; mais cet artifice, employé sans cesse, a produit enfin l’inclination et les a rendus naturellement inquiets, remuants, difficiles à gouverner, même pour rétablir la concorde, dont la tyrannie a détruit jusqu’au désir. La Corse, assujettie à des maîtres étrangers dont jamais elle n’a porté patiemment le dur joug, fut toujours agitée. Il faut maintenant que son peuple fasse une étude nouvelle, et qu’il cherche la paix dans la liberté. »
Pour en savoir plus :
http://oll.libertyfund.org/Home3/HTML.php?recordID=0376#LF-BK0065.2pt01ch04lev1sec001lev2sec001