LES BANDITS CORSES Saverio ROCCHINI (1864-1888)

Source : https://www.corsicamea.fr/bandits/bandit-rocchini.htm

 

Xavier Rocchini est né à Muratello, près de Porto-Vecchio, en 1864.

C’est un paisible fils de laboureur qui a appris à lire et à écrire et que rien ne prédispose au crime.

La querelle entre les Rocchini et les Tafani, une famille voisine, marque le début de sa spirale criminelle à l’âge de 19 ans. Simon Tafani tue le chien des Rocchini. Par vengeance, le 08 septembre 1883, Xavier Rocchini tue Simon, 19 ans aussi, de deux balles dans le dos. Puis les meurtres s’enchaînent. C’est une haine inextinguible contre l’ennemi des Rocchini, la ferme volonté d’exterminer cette race des Taffani, et d’assurer au père. aux frères, à tous ces Rocchini tombés dans des embuscades, le doux sommeil des morts qu’on a vengés.

 

Protégé par sa famille et les amis qui lui fournissent vivres et munitions, l’hiver, Rocchini parcourait les plaines, se risquait aux abords des villages, couchait dans des grottes, recevait quelques fois l’hospitalité d’un brave paysan lorsque au cours de ses longues errances il lui arrivait de rencontrer les gendarmes.

 

En compagnie de ses complices, Pietro Giovanni (un autre bandit notoire qui sera assassiné le 16 novembre 1899) et Pietro Nicolai, dit Baritone, (qui sera condamné au bagne à perpétuité), c’est une série de meurtres qui s’enchaînent.

Le 1er juin 1885, c’est l’assassinat du gendarme Lavigne;  le 08 juin 1887, l’assassinat du gendarme Arcençon; le 12 février 1888, l’assassinat des frères Carducci.

Ils règnent sur la région, en répandant terreurs et menaces, tuent froidement et se moquent de l’autorité.

Mais le plus horrible crime de Rocchini que l’on surnomme maintenant « L’animale », procède de la folie lorsqu’il abat froidement le 04 janvier 1886 Jeannette Milanini, une jeune fille de 17 ans qui se refuse à lui.

 

Voici les faits tel qu’il furent entendus par la cour d’assise de Bastia et rapportés dans le journal Le petit Parisien du 07 sptembre 1888 :

A la belle saison, il grimpait dans la montagne à l’air frais, tantôt ici et tantôt la, ne s’attardant jamais plus d’une nuit au même endroit.Un jour, au hasard de sa marche vagabonde, il rencontra une jeune fille, une enfant de seize ans, qui faisait brouter ses chèvres. Elle était, ont dit les témoins, jolie et douce, avec des cheveux blonds tombant sur ses yeux noirs et, dans sa petite tête d’oiseau, une fermeté inébranlable, la mâle résolution d’un homme dans un corps tout frêle de gamine.

On l’appelait Julie, qui, dans le patois corse, se dit si gentiment « Yù ». (en corse, diminutif de Ghjulia).

Le bandit la vit, l’aima, et, de ce jour, dédaigneux de toute prudence, bravant les gendarmes qui allaient découvrir sa retraite et qui finiraient bien par l’atteindre, il ne quitta plus la montagne, suivant la jeune fille pas à pas, rôdant autour de sa cabane, la guettant à tous les sentiers, lui déclarant son amour dont elle ne voulait pas, lui adressant des prières qui l’irritaient et des menaces qui la faisaient rire.

Autour d’elle, cependant, on s’inquiétait.

O Yù! o Yù ! lui disaient ses compagnes, cela va mal finir…

Yù ne voulait rien entendre et continuait à conduire ses chèvres, toute seule, dans les ravins perdus.

Un jour, cependant, elle rentra à la maison un peu pâle. Le bandit s’était une fois encore présenté à elle. Il lui avait parlé, il lui avait dit: « Songes-y bien! si tu ne veux pas être à moi, je te tuerai! ».

L’enfant était sans famille, n’ayant pour se défendre que sa mère, déjà vieille, presque infirme ; elle lui dit sa rencontre avec le bandit, et doucement, avec son sang-froid de petite femme elle ajouta : « Mariez-moi, ma mère, s’il me poursuit encore, j’aurai quelqu’un pour me détendre, et s’il me tue, j’aurai quelqu’un pour me venger« .

Et la pauvre vieille mère, toute tremblante, descendit à Porto-Vecchio chercher un mari pour sa fille.

Le bruit se répandit bientôt dans la montagne que la petite Yû allait épouser un forgeron du pays, un gars solide, qui saurait bien la garder des bandits.Quelques jours après, Rocchini reparut devant elle. Il lui posa cette question :

 Es-tu décidée ?

Il avait, dit l’acte d’accusation, les yeux hors de la tète, le visage en feu, la voix sifflante; mais Yù n’avait pas peur, et c’est de son même air résolu qu’elle répondit :

– Je suis décidée

– Tu ne veux pas être à moi?

– Jamais!

Alors, le bandit recula de quelques pas et, armant son fusil :

– C’est bien, dit-il, tu vas mourir !

– Ah ! tu aurais ce courage ?

L’autre, pour toute réponse, épaula; par deux, fois il fit feu. La petite Yù tomba tout de son long sur l’herbe rouge, et comme elle respirait encore, comme la vie se cramponnait à ce joli corps si jeune, la bandit s’approcha d’elle et, d’un coup de pistolet dans l’oreille, il l’acheva.

Le 4 septembre 1888, dans la nuit, l’échafaud a été installé sur la place Porta à Sartène. Malgré l’heure matinale, plus de 3000 personnes sont présentes pour assister à l’exécution officiée par le célèbre bourreau  *Louis Deibler venu spécialement de Paris. En raison des menaces proférées cotre lui, l’exécuteur, arrivé incognito à Ajaccio avec ses deux aides, est placé sous haute protection durant son séjour. La berline transportant les bois de justice est embarquée à bord du navire Bocognano à destination de Propriano et bénéficie jusqu’à Sartène des mêmes protection que l’on a prises pour Rocchini.

Leur besogne terminée, Deibler et ses aides quitteront précipitamment la Corse.

 

*Dans cette famille de bourreaux de père en fils, Louis Deibler (1823-1904) est le père d’Anatole (1863-1939) qui le rejoindra en 1890 et qui, à sa mort, deviendra son successeur.

Anatole Deibler sera notamment l’exécuteur de Spada.

 

Le procès de Rochini présenté initialement devant le tribunal de Sartène pour l’instruction du dossier, va se dérouler à Bastia où le bandit sera jugé et condamné à mort. Selon la procédure, mais aussi pour l’exemple, la sentence devra être exécutée en place publique. Pour éviter le long trajet, au demeurant très risqué, de Bastia à Sartène, le condamné est acheminé par bateau, en compagnie d’un transport de troupes, à Ajaccio d’abord, puis vers Propriano ensuite par une embarcation de la compagnie Lanzi spécialement affrétée pour cette mission.

De Propriano à Sartène, en plus des brigades de gendarmerie locale, la troupe de ligne du 111ème régiment à été requise et disposée tout au long du parcours

 

Voici racontés par Le petit parisien dans son édition du 07 septembre 1888 tous les détails de cette exécution:

Rocchini a été exécuté hier matin sur la place Porta, à Sartène.

Il était depuis la veille enfermé à la caserne de gendarmerie. Quatre gendarmes le gardaient.

L’abbé Moneglia, aumônier de la prison, était venu le voir et, sans l’avertir du sort qui l’attendait, lui avait demandé s’il voulait s’entretenir avec lui quelques instants.

– On va donc me couper le cou ? s’écria Rocchini avec terreur et en Pleurant.

L’abbé Moneglia le calma du mieux qu’il put, en lui disant que rien n’était encore certain.

Le condamné demanda alors à l’aumônier de recevoir sa confession.

A quatre heures, le docteur militaire Kocher se rendit à la caserne do gendarmerie pour voir Rocchini. Celui-ci dormait encore. Il avait passé la nuit à fumer, causant avec les gendarmes des crimes qu’il avait commis ; il les avoua tous, excepté celui d’avoir participé à l’assassinat d’un gendarme nommé Arcençon, en ajoutant : « Que la sentence qui me frappe soit exécutée ce matin si je mens « . L’aumônier Moneglia arriva à quatre heures et quart. Rocchini, qui venait de s’éveiller, se leva en sursaut en le voyant; le prêtre l’exhorta au repentir et Rocchini se mit à genoux.

A quatre heures cinquante, tous les magistrat suivis du greffier, se rendirent à la prison.

Le Procureur général dit à Rocchini :  » Vous avez été condamné à mort à Bastia ; la Cour de Cassation a rejeté votre pourvoi ; le Président de la République a refusé de vous faire grâce ; la Justice suivra son cours ce matin « . Rocchini, pâle, fut pris d’un tremblement.  » Ayez du courage ! « , lui dit le Procureur-général.

Puis ce magistrat lui demanda s’il avait des révélations à faire.

Rocchini répondit affirmativement et resta seul avec le Procureur-général.

Interrogé, il avoua les crimes qui ont motivé sa condamnation, nia encore avoir participé à l’assassinat du gendarme Arcençon et reconnut sa complicité dans le meurtre des frères Cartucci.

Son attitude était suppliante ; il implora grâce, les mains jointes, et demanda qu’on adressât un télégramme au Président de la République. A cinq heures et quart, un bruit se fit entendre dans le couloir ; le bourreau arrivait.

Rocchini demanda de nouveau au Procureur de télégraphier à M. Carnot et exprima le désir de rester un instant seul avec l’aumônier, ce qui lui fut accordé ; il pria et se résigna à son sort.

A cinq heures vingt minutes, il livra ses mains à l’exécuteur et à ses aides, qui lui ligotèrent les bras le long du corps et entaillèrent largement le col de sa chemise.

A cinq heures et demie, le condamné fut mis dans le fourgon.

Des gendarmes à cheval précédaient et suivaient le convoi.

Le condamné est arrivé sur la place Porta dans une attitude humble, mais courageuse ; en descendant de voiture, ses jambes pliaient. Il s’est mis à genoux et a demandé pardon à Dieu et à la société. L’aumônier lui a donné son crucifix à baiser.

Les premières lueurs du jour éclairaient la guillotine.

Des femmes qui étaient venues assister à l’exécution poussèrent quelques cris en voyant le condamné marcher au supplice.

A cinq heures trente-cinq minutes, Rocchini avait vécu.

L’exécution a été opérée avec une certaine lenteur.

Le supplicié a eu sur la planche de fortes contractions nerveuses.

Plusieurs personnes sanglotaient et criaient : « Grâce ».

La tête, prise dans le baquet par un des aides du bourreau, lui a échappé des mains et est tombée à terre.

Une foule énorme stationnait sur la place, dans les rues, aux fenêtres, sur les terrasses, et même sur le clocher de 1’église.

Aucun incident ne s’est produit.

 

Dans les groupes, on s’entretenait de l’exécution et l’avis général était que la décapitation de Rocchini aurait certainement pour conséquence d’arrêter plus d’une main criminelle.

Le cadavre du supplicié a été transporté au cimetière sur une charrette.

Le docteur Kocher, assisté des médecins Casabianca et Feretti, a procédé un examen de la tête et a constaté que la section avait été nette et partait du ras du menton au niveau de la dernière vertèbre ; les yeux étaient largement dilatés.

Il parait que la mère de Rocchini a réclamé le corps de son fils.

A sept heures, l’échafaud était démonté et replacé dans un fourgon.

Le bourreau et ses aides sont aussitôt partis pour Propriano, escortés par un piquet de soldats et par la gendarmerie. Ils s’embarqueront aujourd’hui pour Marseille.

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