Le « bouillonnant » Chjarapellu.
Parmi les figures de notre village, je garde pour la bonne bouche Chjarapelu, que ma grand-mère n’a pas connu, mais dont elle a merveilleusement su transmettre quelques détails de sa vie.
« Sa renommée retentissait sans trompettes… C’était « un cas » le grand-père Quilici, Paul-André de son prénom ; il était né le 14 Janvier 1837. Petit de taille, il avait la réputation de ne pas se « laisser monter sur les pieds ». Il avait non seulement du caractère, mais également un sens prononcé de la provocation…
Dans sa jeunesse, comme beaucoup d’habitants de la vallée du Réginu, il avait pratiqué une chasse de nuit, aux flambeaux, connue sous le nom de « scotula ».
Elle consistait en une traque nocturne aux oiseaux ; à l’aide de lampes, on les aveuglait, et on les assommait avec un grand bâton (« scotula » signifie d’ailleurs « gaule »), quand on ne les tirait pas au fusil !
Cette chasse nocturne était bien entendue interdite, et très surveillée ; les gendarmes de l’époque étaient vigilants.
Le jeune Chjarapelu avait eu vent que les gendarmes feraient une ronde cette nuit là, dans le secteur où il « chassait » d’ordinaire.
Néanmoins, il ne renonça pas à la scotula : avec trois ou quatre amis, ils rejoignirent le pailler habituel. En attendant la nuit, ils s’affairaient aux préparatifs : on examina les « bugnole », espèces de grosses lampes en tôle qui résistent au vent, on s’approvisionna en bûchette de bois gras (« deda »), et enfin, on renforça les longs assommoirs.
Cette soirée là, les compères quittèrent leur pailler, plus tôt que d’habitude, pour se mettre à l’affût, près du chemin…
Ils ne bougeaient pas… Ils guettaient le moindre bruit, et surveillaient le moindre mouvement, à une hauteur, cependant peu commune. Ils regardaient… à hauteur d’homme ! Tout d’un coup, ça y était, ils pouvaient dévoiler leurs lampes sur leur gibier pour les aveugler, et les assommer avec leurs « scutole »; leur gibier étaient les gendarmes, et les jeunes gens avaient abattus leurs assommoirs sur les képis, étourdissant un instant la maréchaussée ! Ils détalèrent à vive allure, et on ne les revit pas de la nuit….
Bien plus tard, un jour de conseil de révision à Speloncato, avec le sous-préfet en personne, en revenant du jardin, vers le tournant « des tombes », Chjarapelu rencontra quelques jeunes gens dont l’allure ressemblait à une fuite… Il les interpella, leur demandant où ils allaient si vite. » Nous rentrons chez nous à Muro!… » dirent-ils « Ici, il y a des jeunes qui cherchent la bagarre et veulent nous faire un mauvais parti. » Vivement, Chjarapelu s’interposa et leur dit: « Je voudrai bien voir qu’on vous fasse un mauvais parti et qu’on traite ainsi des étrangers; revenez avec moi, vous ne craignez rien, je suis Chjarapelu! »… L’effet produit par cette révélation ne fut pas celui escompté par Babo; lorsque les jeunes entendirent son nom, ils prirent leurs jambes à leur cou en criant: « Chjarapelu!… Chjarapelu!… » Leur peur n’avait pas disparu, bien au contraire.
Ils se trompaient, car en dépit de son sang vif, il avait le sens de l’honneur et de l’hospitalité: deux vertus hélas, bien peu communes de nos jours. »
Références bibliographiques :
* « A SANTA FAMIGLIA ou Les Mémoires d’une Grand-Mère Corse » – Madeleine QUILICI
Philippe CLEMENT – « Di a Volpe » Editions – 2001
* « Coups de plume variés d’un enfant de la Balagne » – Romulus CARLI – (livre imprimé en 1896).