Source : https://www.corsicamea.fr/coutumes/amours.htm
L’amour et l’honneur sont étroitement liés.
Le simple fait de dévisager avec insistance une jeune fille, peut être à l’origine d’une vendetta. Une jeune fille que l’on courtise est irrévocablement une promise au mariage et ne pourra jamais trouver par la suite d’autre époux que son courtisan.
Le simple fait, même de lui effleurer le visage, de toucher simplement une partie de son corps, de tenter de l’embrasser, de lui caresser les cheveux, de lui ôter son foulard, de la décoiffer en public, est un geste irrespectueux passible des pires représailles de la part de la famille de cette jeune fille qui s’estime désormais déshonorée et qui le crie haut et fort. Commettre l’ attacare, c’est se promettre à l’autre de façon définitive et en cas de non-respect de son engagement, c’est se rendre coupable de la pire des offenses, c’est s’exposer à une vendetta de la part de la famille de la « victime » qui se trouve dans l’obligation de rentrer dans la spirale infernale de la vengeance.
Dans une communauté particulièrement soudée, la conduite de la jeune fille sera étroitement surveillée par son père et sa mère mais aussi par ses frères, par ses cousins et par toute la « parentella« .
Elle rejaillira sur la famille et même sur l’ensemble du village.
La Parenté constitue une partie de la dot. On répondra au futur époux : « ma fille est pauvre, mais elle a de nombreux cousins germains ».
Une jeune fille est en âge d’être courtisée dés qu’elle atteint sa treizième année. Si elle est issue d’une famille modeste, elle rêvera du prince charmant, mais sa condition sociale fera qu’elle se mariera nécessairement avec quelqu’un de son milieu. Si elle est issue d’une caste de personnes qui ont leur chaise à l’église, le parti qu’on lui choisira devra correspondre à la volonté des parents. Dans les deux cas, la décision d’épouser qui elle veut ne lui appartient pas. Les mariages sont, toujours « arrangés ». La question de savoir si les jeunes gens s’aiment ne fait pas débat, l’âge également, importe peu. L’exemple historique de Sampiero, qui était âgé de 47 ans lorsqu’il épousa Vanina à peine âgée de 15 ans, était courant. Le souci de donner sa fille à un « Jo », l’intérêt d’agrandir le patrimoine familial, celui d’agrandir le cercle des alliances en créant de solides et puissantes relations, étaient des préoccupations qui prévalaient toujours. Dans les villages, qui vivaient en autarcie, les mariages consanguins étaient fréquents. On avait coutume de dire que chaque village avait « son fou ». La peur d’avoir un champ à cultiver et de manquer de bras était une motivation profonde dans une société Corse où la terre était la seule richesse de tous, des pauvres, aussi bien que des riches qui sans personne n’étaient rien.
Autrefois, les jeunes filles ne se promenaient pas seules dans le village. Elles ne sortaient de la maison que pour accompagner leur mère dans les travaux des champs ou pour garder le troupeau . Le reste du temps elles vaquaient à des occupations ménagères, faisaient la cuisine ou tricotaient. Parfois, le jeune amoureux avait la chance d’apercevoir l’élue de son cœur qui s’en allait à la rivière faire la lessive hebdomadaire ou chercher l’eau à la fontaine avec sa secchia (cruche) sous le bras. Ces rares occasion étaient, avec la messe du dimanche ou la fête du village, les rares occasions pour lui, de tenter une approche. Voici comment se passaient ces « préliminaires » :
L’amoureux suivait la jeune fille de loin. Pendant qu’elle faisait sa lessive il se plaçait bien en vue à une distance « respectable », puis s’asseyant sur une pierre ou s’appuyant à un arbre, il prenait un air songeur. La jeune fille, au bout d’un certain temps, faisait semblant de le remarquer et le jeune homme sortait de sa poche un mouchoir blanc qu’il gardait bien en évidence dans sa main gauche.
C’est ainsi qu’il déclarait sa flamme à la jeune fille.
Cette dernière, si elle ne partageait pas ses sentiments, lui montrait son coude. Tout était dit alors et elle l’ignorait définitivement. Si cependant elle acceptait ses avances, elle sortait à son tour de sa poche son fazulettu (mouchoir)… Un code gestuel, alors en pratique en ce temps-là, dispensait les innamurati du moindre échange de mots. Le jeune homme comblé, rentrait aussitôt au village pour annoncer la nouvelle et avec ses amis entamait les préparatifs du second chapitre : la sérénade.
S’il a manqué d’inspiration pour composer sa sérénade, l’amoureux trouvera toujours un ami dévoué à l’âme de poète et, un soir, quand il sera prêt, sous la fenêtre de sa belle, accompagné d’une citera ou d’une guitare, il lui déclarera publiquement sa flamme. Lorsqu’à travers les persiennes il verra de la lumière, il saura qu’elle apprécie ses aveux ; alors, après un dernier couplet dans lequel il lui souhaitera le bonsoir, il repartira avec ses amis. Quelques instants après, en signe d’allégresse, mais aussi pour prévenir quelque éventuel rival, des coups de fusil raisonneront dans la nuit.
Mais parfois, la jeune fille, après les derniers vers chantés, soufflera la lampe, fermera bruyamment la fenêtre et fera entendre son mépris à l’infortuné prétendant… C’est le scuocolo, injure suprême qui pousse alors l’amoureux éconduit à commettre l’irréparable et à prendre le maquis.