Qu’est-ce qui cloche dans ce campanile ?
« Partout, la Corse égrène des clochers qui offrent leur silhouette comme surgie du maquis pour narguer la montagne. Autrefois, dans les pievi, on bâtissait d’abord l’église. Le clocher ou le campanile, cet ouvrage isolé de l’édifice à la manière italienne, venait après. »
On peut lire ce commentaire en page 105 du Guide Gallimard de la Haute-Corse (1993), concernant le clocher de Saint Michel. L’extrémité de notre clocher est-elle vraiment si typique?
A partir de recherches bibliographiques malheureusement trop succinctes, et d’une observation de près, de quelques photos du village, dont nous disposons, nous pouvons envisager la chronologie suivante:
L’inventaire de 1760 ne dit rien à propos des clochers, mais on peut supposer, qu’en 1775, date de la consécration de Saint-Michel en Collégiale, le clocher ait été présent.
Cette vue de 1899, nous montre une silhouette différente de celle
d’aujourd’hui, même si on a du mal à en discerner les contours.
Cette photo prise au début du 20ème siècle nous montre avec précision la forme
du clocher, qui est sans doute plus typique que celle d’aujourd’hui.
On peut donc imaginer que depuis son origine, le clocher ait eu cette physionomie, inspirée des photographies, que l’on a d’avant 1913.
Au dessus de sa base, le campanile s’élève sur deux étages, avec deux ouvertures laissant entrevoir les cloches.
Il est coiffé d’une extrémité moins volumineuse, finissant en un « dôme » tronqué, sur lequel est disposé la croix.
La base de cette extrémité, aussi large que les étages inférieurs, supporte à chacun de ses angles, une forme rappelant la pointe de ce « dôme ». Une ouverte creusé dans l’extrémité, allège une impression de masse.
En ce début de 20e siècle, le clocher penchait un peu comme la tour de Pise ; en 1913, il est entièrement refait, et reconstruit à côté de la collégiale, comme un campanile.
La première guerre mondiale commence, et les conscrits sont nombreux au village; les travaux prennent du retard.
En 1916, le village demande à des fondeurs Italiens de faire une nouvelle cloche.
Vu la taille de l’objet, on décida de le fondre sur place, au village.
N’ayant pas pu transporter toute la matière nécessaire, on « récolta » le bronze manquant auprès des villageois.
Des échafaudages sont montés sur toute la hauteur du clocher, afin de hisser « a chicona » au sommet du campanile.
En 1916 (une série de cartes postales en témoigne)
des travaux de réfaction sont entrepris.
Après les grands travaux de 1913 et 1916, le clocher a une autre physionomie; son extrémité est en « ogive », et un « anneau » posé à mi-hauteur vient diminuer la forme d’ « obus »; le corps même du Campanile a une « architecture » différente.
Sur cette vue prise de la Cima, on se rend bien compte de la forme d’ogive donnée
à la cime du clocher; sur la base sur laquelle repose l’extrémité, un rappel de cette
forme d’obus, (nous sommes après la première guerre mondiale) est disposé aux
quatre angles. En y regardant de près, on observe que la disposition des cloches
dans le campanile est changée par rapport à la version d’avant 1913.
Les travaux font donc place à un campanile résolument différent, mais qui par certains détails rappelle la forme précédente.
On reconstruit un étage unique, et les deux ouvertures laissant apparaître les cloches sont réunies en une seule.
Une ligne entre pierre apparente et crépis rappelle étrangement la limite du premier étage du clocher d’avant. En fait, le crépi commencé par le haut n’a pas été terminé, et l’aspect des pierres apparentes fut apprécié, et on décida de ne pas poursuivre.
La croix repose sur une forme arrondie à l’extrémité de l’édifice.
La forme « en pointe » est reprise, et modélisée en « ogive ».
Un « anneau » positionné à mi-hauteur de cette extrémité nous rappelle les proportions du précédent clocher.
Pour casser l’effet de masse de cette nouvelle extrémité, on pratique tout comme dans le modèle précédent, une ouverture à la base.
Des colonnes terminant dans la même forme que l’extrémité rappellent la présence des quatre « dômes » de la version d’avant 1913.
Le campanile de Saint-Michel a donc cette apparence, jusqu’à ce qu’un jour d’orage de 1965…
L’un des « obus » est tombé sur le toit de l’église; pas de victime, mais des dégâts sur le toit.
Il faut alors reconstruire l’extrémité du clocher, et réparer le toit.
L’extrémité est reconstruite plus arrondie, l’ouverture est à peine plus haute, et la croix est posée directement sur le haut.
La forme en ogive est arrondie, et l’anneau médian est supprimé ; ceci est bien différent de la forme d’origine; ça ne choque pas en soit, mais pour le point le plus visible d’une église, « la silhouette surgie du maquis », ça « cloche » un peu !
Ce clocher baroque est bâti en schiste sombre du pays.
Son aspect rustique est rehaussé par les trous de boulin laissés apparents.
Mais, tout ceci n’est qu’hypothético déductif !
Toute contradiction, ou information complémentaire sera la bienvenue….
Filippu di a Volpe