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SPELONCATO (Speluncatu ou Spiluncatu pour l’écriture corse moderne, spuncàdu pour la prononciation locale) est une commune de BALAGNE, couvrant plus de 1800 hectares s’étendant du Monte Tolu (1332 m) à la plaine du regino, habitée par 240 personnes l’hiver et jusqu’à 800 l’été.
Le village lui même est situé à 550 mètres d’altitude et distant de 20 km de L’Ile Rousse.
Sur son territoire : le barrage de Codole, une ancienne gare ferroviaire, le Golf du Reginu, un hôtel, plusieurs cafés et restaurants, des artisans, commerçants, agriculteurs (éleveurs et oléiculteurs).Voir site http://perso.wanadoo.fr/speloncato/
Le village a été récemment classé par Arrêté Préfectoral (décembre 2003) en ZPPAUP ( zone de protection du patrimoine architectural urbain et paysager).
Aujourd’hui Speloncato est renommé pour la beauté de son site et la qualité de son patrimoine (vantés par de nombreux organes de presse et guides dont Géo, Figaro magazine, Le Point…).
Speloncato a aussi un passé très riche mais souvent ignoré . De cette communauté sont issues des personnalités qui ont marquées l’histoire politique, religieuse et culturelle de la Corse.
CORSI, ROMAINS ET CHEVALIERS
La Balagne a fait l’objet de fouilles organisées par des spécialistes de la préhistoire (notamment le Professeur Michel Claude Weïss de l’Université de Corse) qui ont révélé une implantation humaine 7000 ans avant notre ère ( sites de A Pietra et A Revellata).
Des habitats du néolithique ont été mis à jour notamment à Monte Ortu et Capu Braggaghju (Lumio) , Carcu (Cateri) et à proximité de Speloncato sur le site de A MUTULA (actuellement commune de Ville di Paraso).
Des statues menhirs ont été découvertes à Luzzipeu (actuellement commune de Calenzana) et plusieurs dolmens ont été recensés sur l’ensemble de la région.
Les traces de cette ancienne présence humaine (murs cyclopéens, cupules creusées dans le granit, pointes de flèches en rhyolite, tessons de poteries) sont bien entendu visibles sur le territoire de Speloncato notamment sur les élévations (aux noms évocateurs) de Petricajo, Torre, i Castelacci, Santa Vena.
Le territoire communal a aussi été le lieu d’une implantation romaine importante : sur un terrain encore appelé de nos jours « I BAGNI », sont situées les ruines de thermes romains à proximité de l’ancien village de Giustiniani autrefois orthographié Iustiniani ou Justiniani (intégré à Speloncato après le XIII° siècle).
C’est le spéloncatais érudit Romulus Carli, membre de la Société française d’archéologie qui a étudié au XIX° siècle leurs fondations qui remonteraient au IV° siècle de notre ère. L’importance de ces bains tient dans la grandeur et la beauté de la piscine qui pouvait contenir vingt personnes immergées.
Le nom de l’ancien village de Giustiniani fait vraisemblablement référence à l’Empereur Justinien qui chassa les Vandales de Corse et y rétablit l’autorité romaine en 533. ( Ettore Pais – Storia della Sardegna e della Corsica durante il periodo romano – ed. Nardecchia -1923)
Les noms des champs à proximité : Peroppe, Stipide et Pomontone (nom à rapprocher de celui de la déesse de la fertilité Pomone), gardent le souvenir de cette présence romaine.
L’abbé Alberti ( Olmia et ses Martyres – 1986) cite de nombreux exemples de la romanisation de la Balagne notamment : le Monte Jove (Jupiter) et U Capu di Mercuriu dominent Calenzana, Pietra Moneta (Ostriconi) est une ancienne implantation d’un temple dédié à Junon Moneta.
Les installations romaines étaient nombreuses dans l’ensemble de la Corse. Ainsi les auteurs de » Luri Chemins d’une histoire » ( ML Cervoni, A Monti, A Pieretti – Ed Piazzola 1996) rappellent le Resquit de L’Empereur Vespasien par lequel étaient réparties des terres à la suite d’un litige entre la communauté des anciens » corsi » de la tribu des Vanacini et la colonie des vétérans romains installés dans la cité de Mariana.
Dans cette Corse peu peuplée (30000 habitants selon certains historiens) la fusion entre anciens et nouveaux corses se fera au fil du temps.
Malgré cette présence romaine, la christianisation de la Balagne ne semble pas avoir été rapide et les ruines d’églises situées sur le territoire de Speloncato, découvertes à ce jour, sont toutes issues d’implantations postérieures au XI° siècle.
L’absence d’évêché propre à cette riche région ne manque pas d’étonner, alors que le Nebbiu en était pourvu et même les deux pieve d’Accia (pendant plusieurs siècle avant le rattachement à Mariana).
Trois évêchés différents se répartissent le territoire de la Balagne: Sagone pour Calvi et les pieve d’Olmo et Pino ; Aleria pour la pieve d’Aregno ; Mariana – Accia pour les pieve de Tuani, Sant’Andrea et Ostriconi.
Sillio Scalfati écrit dans » la Corse médiévale » ( Ed Alain Piazzola) qu’à la fin du VI° siècle, la Corse comptait un autre évêché, celui de TAINA, qui fut détruit par des populations locales hostiles.
Nous avons émis l’hypothèse que l’évêché de Taina, que certains situent en Tavagna, ait été en réalité implanté à TUANI , lieu situé à quelques kilomètres de Speloncato (voir conférence la Corse et la Papauté sur notre site http://www.accademiacorsa.org ).
Après l’an 800, pendant un siècle, les habitants de Speloncato ont été comme les autres corses, totalement isolés du continent par la domination sarrasine de la mer.
La chronique de Giovanni Della Grossa rappelle l’épopée des cinq rois autochtones et païens qui ont régné pendant cette période et qui seront qualifiés de maures dans la terminologie des vainqueurs, les chevaliers toscans, intervenant au nom du Pape au XI° siècle.
Ils avaient leur principale implantation à Cordovella (à proximité de Montemaggiore) et un de ces rois avait selon le chroniqueur épousé la fille d’un seigneur du Guissani (voir la conférence sur la Corse au temps des sarrasins).
Comme pour de très nombreux villages de Corse, la toponymie aux alentours de Speloncato (Capu di Moru, Punta a i Mori, muratellu, muratu…) garde le souvenir de cette présence.
Dans un récent livre consacré à l’histoire de Monticello (Vingt chapitres de l’histoire de Monticello – Albiana – 2002), Jean-Louis Orticoni rappelle que les habitants du château de SARRIJINA (la mémoire de son village le situe sur le Capu Mirabu), ont dû l’abandonner devant l’avancée des chevaliers chrétiens et se seraient réfugiés à Speloncato, ce qui expliquerait que la commune de Speloncato ait compris dans son territoire, jusqu’au 17ème siècle, des terres s’étendant du lieu appelé I Signori jusqu’à la mer (anse de SALECCIA) en passant par les sites de Capu Mirabu, Tre Castelli, Punta di Beffanu (le chevreau) Capu a l’altare, Pozzu d’arbu, Omella, Punta Somaccia.
Au XI° siècle, les chevaliers vainqueurs sont en Balagne commandés par les membres de la famille appelée i Pinaschi qui édifient un château puissant à Sant’Antonino.
Quand le fief sera partagé entre les héritiers, un des membres de cette famille surnommé MALPENSA édifiera le château de Speloncato, pendant que le troisième héritier s’installera à Braggaghju au-dessus de Lumio.
Des querelles entre ces trois seigneurs entraîneront des attaques successives du château de Speloncato, et la Chronique de Giovanni Della Grossa en fait état.
Un siècle plus tard, le seigneur de Speloncato se heurtera au marquis de Massa installé au château de San Colombano et agissant au nom de Pise et du Pape pour reprendre en main les seigneuries locales.
Le seigneur de Speloncato nommé MAROVELLO va s’attaquer au château que les Massa ont construit à Belgodere et le détruire.
La légende de la BISCIA (qui a une origine mythique plus profonde) rappelle dans sa version médiévale l’hostilité entre le seigneur de Speloncato et celui de Belgodere.
Dans la tradition de Belgodere le bon seigneur Massa tue la monstrueuse Biscia mais est trahi par le mauvais seigneur spéloncatais Marovello ( Cf Olivier Orsini » Belgodere mon village » Editions Albiana 1998).
Avec les seigneurs toscans, le christianisme va s’implanter solidement en Balagne et les moines vont être chargés de cette évangélisation.
Aucune implantation de couvent n’étant encore réalisée, les seigneurs et les possédants vont faire de nombreux dons de terres et de bâtiments aux abbayes bénédictines de Toscane et de Ligurie dont celle de LA GORGONA, pour faciliter cette influence monastique.
Sillio Scalfati a recensé les actes de donation (notamment par les seigneurs Pinaschi) encore conservés en notant leur concentration importante en Balagne.
Bien que le nom de Speloncato n’apparaisse pas dans ces actes, on peut relever que plusieurs d’entre eux ont été conclus au CASTELLUM de MUTULA , plusieurs donateurs sont désignés comme habitant Iustiniani.
Dans un acte passé en l’an 1100, un certain Paccio fils de feu Brunus de IUSTINIANI dispose qu’à sa mort, l’abbaye de la Gorgone prendra possession de sa propriété de QUERCETO et de sa part dans l’église de SAN PANCRAZIO que Salfati situe entre Giustiniani et Speloncato.
Ces bénéfices importants (les terres ne sont pas exploitées directement mais données à bail) ont permis l’entretien de nouveaux édifices religieux et de leurs desservants.
C’est à cette époque que s’édifient les églises de SAN STEFANO et SAN MARTINO sur le territoire de Giustiniani, et celle de SAN MICHELE à Speloncato.
SOUS L’AUTORITE GENOISE
Speloncato fait partie des villages qui participent à la révolte anti féodale du XIV° siècle et demandent, avec Sambucucciu d’Alando, le soutien de la République de Gênes alors Etat puissant et prospère pour assurer au pays une administration de « rectitude et justice » dans ce qui sera appelé A terra di a Cumuna.
La fin de la féodalité a cependant confirmé la montée en puissance des familles de caporali et particulièrement en Balagne celle des Biasini de Sant’Antonino qui adopteront le nom de Savelli par référence au chevalier romain qui ( mythe ou réalité ?) reconquit la Balagne au X° siècle avec le Comte Ugo Colonna (Cf. Antoine-Marie Graziani La Corse Génoise Ed Piazzola 1997) .
Le 7 juin 1453, réunis à la Veduta de la Canonica de Mariana, les représentants des communautés corses demandent que l’Office de Saint Georges prenne en charge l’administration de l’île.
La politique des génois va rester la même, avec le soutien de nombreuses communautés villageoises : éliminer les vestiges de la féodalité et limiter l’emprise des caporaux.
L’Office va obtenir le soutien de familles de principali dont celle de Dominique QUILICI de Speloncato qui recevra en 1457, son attestation de noblesse, le titre de » magnifico » et son exonération de taille ( voir Vergé-Franceschi – Histoire de Corse – Ed du Fallois – p 136).
L’Office va aussi compter sur les oppositions entre les derniers seigneurs féodaux du Dilà dei Monti et notre village va être impliqué dans ces guerres.
Lorsque Gian Paolo de Leca, alors allié des génois, combat en Balagne son cousin Renuccio della Rocca, c’est à Speloncato qu’il s’installe le 24 juillet 1483 (avec ses amis caporaux dont Ristorcello de Sant’ Antonino) pour livrer bataille, et vaincre.
Le grand prédicateur franciscain Guglielmo BOLANO (de la famille Savelli), né à Speloncato, soutiendra le seigneur Gian Paolo de Leca. Il fonde, à sa demande, en 1480, le couvent de Vico. Il est ensuite nommé par le Pape, évêque de Sagone le 15 mars 1481.
Bolano reste fidèle au Comte Gian Paolo après sa rupture avec l’Office de Saint Georges, et est contraint de se réfugier en 1493 à Rome. Mais il n’est pas certain, bien au contraire, que la communauté de Speloncato l’ait suivi unanimement dans son opposition aux génois.
Pendant les guerres suivantes et notamment celle menée par SAMPIERO, le village est divisé entre les pro-génois menés par RENUCOLO de SPELONCATO (chef militaire des troupes fidèles à la Sérénissime dans la région dès 1554) et les pro-français conduits par ANDREA de SPELONCATO (nommé en 1556 commandant chargé de la défense de la Balagne par Giordano Orsini, chef de l’expédition française). (Voir Simon Renucci – La Corse et le Monde – Edisud – 1997)
Que les deux chefs des troupes opposées soit issus de Speloncato démontre l’importance du village mais aussi celle de ses divisions !
Cette lutte voit la victoire des gênois et en septembre 1557 Renucolo de Speloncato occupe la tour de Monticello et la fortifie pour le compte de la République de Gênes.
Nous avons un aperçu succinct mais intéressant de la Balagne et de Speloncato à cette époque grâce à l’évêque génois du Nebbio, Monseigneur Giustiniani, qui rédige un ouvrage de description de la Corse en 1531 (AM Graziani – édition critique du Dialogo Nominato Corsica de Mgr Giustiniani – Ed. Piazzola 1992).
Pour la Balagne, il décrit « un pays où les mœurs sont douces, bien habité et convenablement cultivé. Elle produit des céréales, de l’orge plus que du blé, des amandes, du vin, des figues sèches noires et blanches, excellentes, de très belles planches, poutres et poutres maîtresses de sapin, de pin larix et de pin. Mais la Balagne est surtout connue pour son huile dont la production est si importante que, quand l’année est bonne, elle suffit au besoin de l’île toute entière et qu’on peut en exporter une bonne quantité ».
Dans sa description du village, l’Evêque cite les hameaux de GIUSTINIANI, de CAVALLERAGIE ainsi que de » VILLA DI SPELONCATO » ( qui participera plus tard à la constitution de la commune de Ville di Paraso) .
Il rappelle que Speloncato présente l’originalité de dépendre de deux Pieve : les deux tiers de son territoire font partie de la pieve de TUANI et le tiers restant (ancien territoire de Giustiniani ) de celle de SANT’ANDREA. La ligne de partage des deux Pieve passe au centre du village qui possède ainsi deux églises paroissiales: SAN MICHELE dépendant de Tuani et SANTA CATALINA dépendant de Sant’Andrea.
L’église San Michele est devenue la pievanie de Tuani (après l’abandon de l’église pievane San Giovanni Baptista dont les ruines sont encore visibles à proximité du couvent de Tuani) et l’église Santa Catalina a repris à cette époque les bénéfices antérieurs attribués aux églises ruinées de San Stefanu de Giustiniani et San Martinu.
La population est estimée à 54 feux (dont 3 seulement à Giustiniani) et 19 demi-feux soit environ 400 habitants.
Les habitants de l’ancienne communauté autonome de Giustiniani se sont regroupés sur les hauteurs de Speloncato où ils ont bâti des maisons fortifiées et leur église de Santa Catalina.
L’abandon de l’ancien village est amplifié par les raids des barbaresques turcs.
Dés 1511 l’Evêque de Sagone avait alerté les autorités génoises car de la Balagne à Ajaccio les razzias affolaient les populations.
Sous la domination génoise Speloncato, comme l’ensemble de la Balagne, connaît un développement économique certain grâce à la culture de l’olivier et aux meilleurs rendements obtenus pour les cultures de grains, mais aussi grâce au perfectionnement des moulins.
Il faut noter que si Saint Michel est le patron des guerriers, Sainte Catherine d’Alexandrie est, en raison de son martyre sur une roue, la patronne des meuniers notamment.
Les échanges sont importants et il est à noter que le nombre de notaires exerçant en 1454 sur les deux pieve de Tuani et SantAndrea est de 7, ce qui représente une concentration exceptionnelle qui n’a d’équivalent, à cette époque, qu’en Casinca ; le Rustino en comptant 3, La Tavagna 2, Oletta 1, Caccia 0.
Il y a même un notaire dénommé Ambroxino Enricucello de Speluncato qui sera condamné en juillet 1460 à 300 livres d’amende pour contrefaçon et qui devra promettre de ne plus rien faire à l’encontre de l’Office de Saint Georges ou ses officiers en payant 300 autres livres de caution (Cf Antoine Franzini – Giovanni della Grossa la carrière d’un notaire dans la Corse du quattrocento – Cahiers Corsica – 2003)
Un médecin réside à Speloncato au XVI° siècle, il y soigne par contrat collectif les habitants, il est génois et se nomme BAPTISTA MONEGLA.
La communauté de Belgodere passe elle aussi un contrat le 11 décembre 1588 avec ce médecin pour bénéficier de ses soins, mais il continuera de résider à Speloncato (cf Olivier Orsini – Histoire de Belgodere op. cit.).
Les habitants de Speloncato ont des contacts suivis avec ceux des villages voisins mais aussi avec CALVI.
Dans les archives notariales calvaises (voir l’ouvrage de F.F. Battestini : Calvi au XVIème Siècle Editions N. Ambrosini 1968), apparaissent souvent des actes passés par des speloncatais.
Ainsi un contrat fixe les conditions du mariage d’un fils du capitaine Francesco di Biasino (famille Savelli de Sant’Antonino) pro-français déclaré rebelle à Gênes puis rentré en grâce, qui épouse la fille du capitaine Andrea de Gio de Speloncato lui-même marié à Lumio (et lui aussi ancien partisan de Sampiero).
Deux familles speloncataises ont alors de solides attaches à Calvi et y exercent des fonctions militaires et juridiques comme l’indiquent les actes publiés. Ce sont les AMBROSINI et les ORLANDINI.
Un spéloncatais est même notaire à Calvi de 1616 à 1621, il se nomme Domenico di Giovanello SALADINI de Speloncato.
L’importance du notariat et des échanges démontre que les terres et les immeubles sont répartis à Speloncato entre de très nombreux propriétaires, bien entendu plus ou moins aisés, et que la Balagne ne connaît pas la concentration des biens observée notamment dans les pieve du sud de la Corse.
Les ascensions sociales (dont les corollaires sont les revers de fortune) permettent à des familles d’agriculteurs, d’artisans ou de commerçants, souvent aidées par un » ziu prete » de construire de belles maisons de famille.
François Demartini (L’Armorial de la Corse – Ed Piazzola 2003) cite les nombreuses familles spéloncataises dont il a relevé les armoiries : Abraïni, Ambrosini, Arrighi, Carli, Quilici, Orlandini, Malaspina, Savelli. Ce nombre important démontre que la notoriété y était largement répartie.
Speloncato est une des communautés de Balagne qui exporte vers le continent italien son huile et le fisc génois est attentif à cette prospérité.
Dans les archives de Gênes sont relevées des requêtes de la communauté de Speloncato à propos d’imposition et notamment en janvier 1683 au sujet de la provision d’huile de Bastia, Speloncato estimant être surtaxée car payant sur deux Pieve.
En décembre 1587, Speloncato avait déjà demandé à Gênes de réduire le montant des dépenses excessives pour sa communauté dans le cadre de l’entretien et la garde de la tour de SALECCIA.
Cette tour (avec les terres de la vallée attenante notamment les campagnes d’Albo et d’Omella et le Capu Mirabu) fera l’objet d’une cession à la communauté de Monticello qui en assurera désormais les frais.
En 1721, la communauté de Speloncato demandera aussi à ne plus avoir à assurer avec Occhiatana et Belgodere la garde de la tour de Losari.
Des manifestations culturelles ont lieu au village et les représentations de compositions dramatiques, « la tragédie de Sainte Catherine d’Alexandrie », « le martyre de Saint Pierre » et « la Passion », attirent une foule considérable à Speloncato, Lumio et Cateri,en 1679,1688, et 1692 ( Cf. Gian Carlo Gregori)
Mais la vie ne s’y déroule pas toujours tranquillement.
Le 24 janvier 1720 est assassiné à Speloncato, Giovan Matteo SAVELLI.
Antoine-Marie Graziani a publié les extraits du dossier d’enquête conservé aux archives de Gênes (La Corse vue de Gênes – Ed Piazzola-1998).
Le meurtre de Giovan Matteo q. Paoloviso a été dénoncé conformément à la Loi par le podesta de Speloncato Giovan Luca q. Marco (les personnes sont encore, très souvent, désignées dans les documents administratifs, par leur seul prénom et celui de feu leur père).
Les coupables, d’après l’épouse Lorenza, sont rentrés dans la maison de sa mère Timothea et ont assassiné son mari sans prononcer une parole : » Hieri à hora di vespro circa mentre detto Giovan Matteo mio marito era in casa di mia madre che stava al focone scaldandosi co’ un moi figlio che aveva in braccio di mesi venti circa. Sono entrati in detta casa Marc Antonio di Anton Francesco, Vitale q. Giovan Giorgio et Marc Antonio q. Buonaventuro, tutti tre di questo luogo di speloncato, tutti armati di spada e pugnale, stile e co’ esse armi l’hanno assassinato e fatto morire senza dire una parola « .
L’épouse a aussi déclaré : » Si dice publicamente che li suddetti Anton Marco e compagni habbiano ucciso detto Giovan Matteo mio marito perche esso era cugino di terzo di Giovanni q. Amatissimo di Santa Reparata qual Giovanni l’altro ieri feri spada in detto luogo di Santa Reparata à Guerrino figlio di Giuseppe Fabiani nepote carnale di detto Anton Marco, di terzo à detto Vitale è nipote di detto Marc’Antonio uccisori di detto Giovan Matteo e che cio l’habbiano fatto in vendetta « .
Selon l’historien A-M Graziani, il s’agit à la fois d’une vendetta transversale issue de querelles entre familles de Balagne mais surtout de l’élimination d’un notable pro génois important.
La personnalité de la victime conduit le Lieutenant de Balagne à enquêter personnellement sur place, à examiner le corps déposé au couvent des capucins, et à faire un rapport détaillé à l’Administration centrale de la Sérénissime.
Il est à noter que les assassins sont les cousins de Simone Fabiani, chef des balanins qui soutiendront le Roi Theodore et qui sera assassiné sur l’ordre des gênois le 15 juillet 1736 à Orezza.
Simone est le fils du lieutenant colonel Giuseppe FABIANI de Palmento qui avait épousé, le 26 Mars 1695, Giovanna Maria MALASPINA, fille du capitaine Bonaventure Malaspina de Speloncato.
La famille Malaspina de Speloncato est semble-t-il issue, comme les autres Malaspina, de la descendance du prêtre Abra issu du fondateur de Belgodere, le marquis de Massa.
LE ROI THEODORE
Antoine Gabrielli a retrouvé dans sa maison familiale un curieux document en latin écrit à l’époque de Theodore sans doute par un clerc partisan du roi, intitulé « Varia themata moralia singularis balanice regionibus respondentia » et attribuant à chaque village de Balagne une maxime.
Certaines sont sévères, tel celle de Montemaggiore : « qui dicis de te ipso ? exonerastite et onerasti domum fratis tui fraudolenter » (Que dis-tu de toi même ? tu t’es déchargé et frauduleusement tu as chargé la maison de ton frère).
Cassano était semble-t-il sans reproche: « Expectamus Regem nostrum Theodorum cum laeticia » (Nous attendons notre Roi Théodore avec joie)
Pour Speloncato, il est écrit : « unde lego habet zizania » (D’où vient cette discorde ?).
Si le village est divisé quant au soutien à apporter au roi Theodore, la communauté de Speloncato sera cependant unanime pour refuser de rentrer dans un complot qui menace la vie du Roi.
Sebastiano COSTA, chancelier du roi, rappelle dans ses Mémoires (publiée par Daniéle Luciani) que Theodore séjourna au couvent de Speloncato lorsqu’il fut amené à conduire les attaques contre les génois en Balagne.
Costa précise qu’il s’était rendu au couvent de Speloncato car « outre que le couvent en lui-même se prêtait fort bien à être défendu, l’assaut ne pouvait être tenté que d’un seul côté ».
Les opposants au Roi venus d’autres villages s’entretinrent en secret avec quelques uns des notables de Speloncato, leur révélant qu’ils voulaient arrêter le Roi et qu’ils attendaient cette nuit-là des troupes pro génoises.
Costa rappelle que les principali de Speloncato refusèrent de se prêter à cette manoeuvre en disant : » Comment, il n’y avait pas un autre village de Balagne pour arrêter le prince et le livrer aux génois ? Il séjourna toujours dans nos villages. Vous l’aviez toujours en votre pouvoir mais vous ne l’avez pas pris et maintenant pour flétrir Speloncato d’une éternelle infamie, c’est ici que vous voulez mener à terme le complot que vous avez tramé. Cela ne sera pas. La bataille sera entre vous et nous « .
Et un des notables du village se rendit immédiatement auprès du Roi pour l’avertir et lui demander d’user de la plus extrême attention.
Le Roi Theodore quitta à deux heures de la nuit le couvent de Speloncato pour rejoindre Caccia par le Giussani.
Un spéloncatais, AMBROGGIO QUILICI, issue d’une famille que avait, dans les siècles précédents, soutenu l’Office de Saint Georges, se distingue particulièrement dans la lutte anti génoise pendant le court règne de Theodore : Il assure les fonctions de lieutenant-général du Roi et reçoit le titre de comte en avril 1736.
UNIS POUR SOUTENIR LE GENERAL PAOLI
La communauté de Speloncato bien qu’ayant connu dans la corse génoise un développement économique indéniable , va résolument entrer dans la lutte anti-génoise.
En septembre 1742, les gens de Balagne se réunissent à Speloncato pour lancer une nouvelle tournée afin de soulever les populations contre Gênes.
Speloncato devient un bastion de la lutte pour l’indépendance au point qu’une consulte y est organisée le 9 novembre 1745 par Dominique RIVAROLA, nouveau général en chef avant de lancer son attaque victorieuse contre Bastia.
Plusieurs familles de Principali vont entraîner Speloncato dans ce combat et font l’objet de citations dans les études historiques relatives à cette période, notamment les QUILICI, les PIZZINI, les CARLI et les ARRIGHI.
Ces notables, dont la famille avait pour certains, précédemment participé aux institutions de la Corse génoise, basculent dans la révolte contre Gênes et prennent la tête des insurgés, comme l’explique fort bien AM Graziani dans sa biographie de Pascal Paoli ( Editions Tallandier – 2004) à propos d’Hyacinthe Paoli et des autres généraux Ceccaldi et Giafferi.
– Le spéloncatais Pietro PIZZINI était en 1730 un des Nobles Douze chargé de représenter les corses auprès de la République génoise. A ce titre, il se rendra en février avec Gaffori de Corte et Giafferi de Tavagna pour calmer les esprits dans les pieve en rebellions contre Gênes et ils obtiennent un armistice.
Mais dès le 14 janvier 1731, lors de la bataille de Calenzana, qui voit le colonel DE VINS à la tête des troupes impériales au service de Gênes perdre 150 hommes, les rapports signalent que les patriotes corses sont commandés par Pietro PIZZINI de Speloncato.
Quand le 10 août 1731, le gouverneur Doria publie un édit qui accorde le pardon général aux corses qui remettent leurs armes dans les 15 jours, il exclut du pardon 25 communautés dont Speloncato, I Gatti di Vivario, Zicavo, Oletta.
Un autre membre de la famille Pizzini de Speloncato, le capitaine Antone Pizzini dit SPADONE, sera commandant des milices nationales de la région pendant le gouvernement de Paoli et fait partie des combattants qui s’exilent, embarquant à l’Ile Rousse pour continuer la lutte. Une propriété porte toujours le nom de « Torra di Spadone » et perpétue, sans doute, son souvenir.
La famille Pizzini comportait des personnalités remarquées pour leur caractère entier. Ainsi en 1646, lors d’une de ses visites pastorales Monseigneur Marliani constate qu’en l’église Santa Catalina di Speloncato, le prêtre Jacoppo Francesco Pizzini est en habits et tonsure mais qu’il porte une arme sur lui, même dans son église !
– Giovan Paolo, fils d’Ambroggio QUILICI , Lieutenant Général du Roi Théodore, sera en 1755 nommé commandant des troupes chargées de protéger la Balagne et il entretiendra une correspondance avec Pascal Paoli pendant l’ensemble de son gouvernement.
Il lui sera fidèle même après Ponte Novu au point d’être arrêté par les troupes françaises en octobre 1774 et déporté à Toulon.
Quand James Boswell se rend en Corse, le Général Paoli lui conseille de visiter la Balagne et c’est au Chanoîne QUILICI de Speloncato qu’il écrit le 26 octobre 1765 pour lui demander de guider ce visiteur important dans la région (correspondance citée par F.Beretti – Pascal Paoli et l’image de la Corse au dix huitième siècle – the voltaire fondation, oxford 1988 – p.51)
– Marco Maria CARLI de Speloncato sera un de ses intendants de la Corse et, à ce titre, un des proches collaborateurs de Paoli.
Il est issue de la famille d’Ambroggio Carli créé Caporali par le Sénat de Gênes en 1684 et comptant un Noble Douze élu en 1686.
Après la défaite de Ponte Nuovo, son cousin Francesco Maria ayant choisi de poursuivre le combat en exil en Toscane, verra ses biens confisqués. Il ne pourra revenir en Corse qu’après un jugement prononcé le 3 juillet 1773 par la Giunta di Caccia autorisant son retour sous condition de ne pas nuire à la « tranquillité publique » et avec la caution de 800 livres françaises garantie sur ses biens par Giovan Battista Abraïni de Speloncato, vraisemblablement son parent.
– Le Capitaine Domenico AGOSTINI dit CAPOCCHIA est un autre homme de confiance de Paoli issu de Speloncato.
Il lui sera confié le commandement, stratégique pour les nationaux, de la garde de L’Ile Rousse et de son port.
Il est cité, par les journaux toscans qui relatent les événements de mai 1768, parmi les chefs militaires qui s’exileront avec leur famille après la défaite.
Le Gazette Toscane écrit : » La mattina de’21 i Sigg. Cap. Leonardo Belgodere, Achille Murati, Pizzini, Capocchia, Panattieri, Domenico Antommattei, ed altri che si trovavano al comando dei trinceramenti dell’Isola Rossa sentendo che tutti i Paesi si erano arresi, e in conseguenza trovandosi in mezzo a una grossa Armata, tennero fra loro un consiglio, e determinarono di sottrarsi dal pericolo che loro sovrastava : percio’ imbarcate le loro famiglie sopra una nave inglese con 150 Nazionali di scorta… « . .
– Enfin, le spéloncatais Domenico ARRIGHI aura un rôle très important au sein du gouvernement de la Corse indépendante.
Il est né à Speloncato dans une famille de Podestats dont on retrouve le nom sur les registres de taille du village, partie de Sant’Andrea, propriètaire de plusieurs moulins dont celui de Capezzale sur le fleuve regino.
Domenico Arrighi est un juriste renommé qui fera partie (cf Ilario Rinieri I vescovi della Corsica Ed Istituto per gli studi di politica internazionale Roma 1934 page 211) des législateurs qui, avec Pasquale Paoli, codifieront les lois fondamentales corses et rédigeront la Constitution.
Antoine ROVERE (La Corse au temps de Pascal Paoli – BSSHNC fasc. 618 – 1er trimestre 1976 – p 21-22) rappelle que, quand l’idée nationale prit corps, « c’est en Balagne que pour la première fois, elle se révèle au grand jour ».
Les notables balanins sollicités par l’évêque Mariotti, à la demande de la Sérénissime, afin de définir les conditions auxquelles la république devait souscrire pour que le calme revint, vont répondre non en sujets mais en représentants d’une Nation proposant un contrat à la République de Gênes, alors que dans les premières années de la révolte commencée en 1729 les chefs corses ont seulement cherché un souverain à substituer à Gênes (Espagne, Toscane, France, Angleterre ou un Baron Allemand).
Rovere note que : » De la revendication de l’égalité des droits individuels entre insulaires et génois ont passait à la revendication de l’égalité nationale » et ajoute » pour la première fois la classe dirigeante envisageait la possibilité de gouverner l’île et elle le fît en se substituant partout aux génois «
Le programme des juristes balanins va être adopté par toutes les Consulte à partir de celle du 17 mars 1743 qui nommait Tomaso Giuliani de Muro Général de la Nation Corse.
Le nom de Domenico Arrighi apparaît souvent dans la correspondance de Paoli dès son retour en Corse en 1755. Il est nommé au Suprême Conseil du Royaume de Corse (gouvernement de la Corse composé de neuf membres) en mai 1761, et il est le signataire de nombreux documents administratifs de la Corse indépendante (Georges Oberti -Pasquale de Paoli – 1990).
C’est lui qui a l’honneur de présider la séance de la Consulte à Corte, en l’absence de Paoli, pour annoncer la prise de CAPRAJA par les troupes corses.
Par courrier du 8 août 1762 le général Paoli indique au Magistrato di Balagna : « per accorere agli urgenti bisogni della Patria e per essere a portata di opporsi alle intraprese di sediziosi e partitanti genovesi che possano sollevarsi in codesta provincia colle necessarie facoltà che a noi competeno in virtu del nostro impiego di poter delegare altri in nostro luogo abbiamo spordite le instruzioni all’ illustrissimo signor Domenico Arrighi di Speloncato perche si mette alla testa delle armi di codesta provincia in difesa della Patria (…) »
Speloncato constitue une place forte du général Paoli qui y séjourne plusieurs fois lorsqu’il se déplace en Balagne.
En 1763, Pascal PAOLI arrive de Pietralba à Speloncato le 24 août. Il fait une visite de l’Ile Rousse le 25 puis retourne à Speloncato d’où il partira le 9 septembre pour Caccia. Il assistera ainsi le 8 septembre de cette année au curieux passage du soleil par la petra tavunata de Speloncato(voir chapitre suivant).
Le journal imprimé par le gouvernement, I RAGGUAGLI (qui comprend de très nombreuses autres références à Speloncato), indique, qu’au cours de son séjour, beaucoup de spéloncatais offrent de suivre le Général qui doit se rendre dans le sud de la Corse, mais qu’il n’en choisit qu’un petit nombre (Marie Thérèse Avon-Soletti – La Corse et Pascal Paoli – La Marge – 2000).
Plusieurs consultes provinciales ont lieu à SPELONCATO pour la région de Balagne.
Hyacinthe Yvia-Croce rappelle dans son livre « 40 ans de gloire et de misère »( Ed Albiana 1996) qu’en septembre 1763, Paoli assigne à résidence Monseigneur MASSONI au Couvent de Speloncato l’obligeant à quitter Calenzana en raison de ses intrigues pro-génoises.
Après la défaite de Ponte Novu, le 8 mai 1768, Domenico ARRIGHI fera partie de la délégation corse qui rencontrera le général DE VAUX à Corte pour fixer les conditions du dépôt des armes (Abbé Galetti – Histoire de la Corse).
Retourné vivre dans son village, Domenico Arrighi exercera les fonctions de Podestat de Speloncato et de Commissaire de la Giunta di Caccia. Les juntes ont été crées par Edit royal du 15 août 1772, conjointement à l’amnistie accordée aux fugitifs. Elles sont au nombre de quatre installées à : Orezza, Caccia, Quenza (puis Tallano) et Guagno (puis Mazzana), et composées de six commissaires corses choisis par les représentants de la Nation. Leur fonction est principalement de remplir un rôle de « paceri » afin de prévenir les querelles et de fixer les conditions du retour des exilés paolistes dans leur communes.
Domenico Arrighi reste néanmoins suspect aux autorités françaises. Ainsi le Consul de France à Livourne le Chevalier de Bertellet rendant compte au Comte de Pradines, Intendant de Corse, informe dans son courrier du 3 septembre 1774 que, pour préparer une intervention en Corse, les patriotes corses exilés dirigés par Nicomède Pasqualini ont adressé une lettre de Paoli à plusieurs notables restés sur place dont « à Speloncato au S. Dominique Arrighi » (Cahiers d’Histoire et de Documentation Corses N°1 – 1949 – p.53).
Il mourra le 21 juin 1789 sans avoir connu le retour de Pascal PAOLI en Corse et est enterré (conformément à son testament) comme les autres membres de sa famille dans « a capella del Carmine » du Couvent des capucins de Speloncato.
Pendant les vingt années comprises entre la conquête militaire française et le retour de Paoli, Speloncato est en retrait des joutes politiques que se livrent les différentes factions ( pro-Narbonne ou pro-Marbeuf) à la recherche des faveurs royales. Aucune des familles de notables du village n’a été incorporée à la noblesse française.
La population est alors de 738 habitants et le plan Terrier indique une superficie de 3101 arpents soit 1302 hectares dont 86,74% appartient à des particuliers. La grande majorité des terres est destinée aux cultures de grains (Jean Defranceschi – Recherches sur la nature et la répartition de la propriété foncière en Corse de la fin de l’ancien régime jusqu’au milieu du XIX° siécle – Ed. Cyrnos et Méditerranée 1986).
Dans la période révolutionnaire, il ne fait guère de doute que le retour du Babbu di a Patria a été accueilli par le village avec enthousiasme.
Pour la Consulte du 21 juin 1794 qui approuve la création du Royaume Anglo-Corse, la communauté de Speloncato est représentée par Giuseppe Maria MALASPINA.
Au moment de son départ vers l’Angleterre, Pascal PAOLI écrira le 10 octobre 1794 à un ARRIGHI : » Dans deux jours, je quitterai la Corse. Continuez à servir l’Angleterre avec la loyauté qui vous distingue. Peu méritent de ma part ce témoignage. Je me suis aperçu que beaucoup de ceux qui exagéraient mon influence pour m’éloigner de l’île, tiennent plus aux guinées qu’aux franchises de la constitution. Réalistes et soi-disant patriotes, ensemble se conduisent avec la même avidité pour cette curée (…). Moi, je suis vieux et je commence à sentir le poids de mes 70 ans. Toutefois, ne vous préoccupez pas de ma santé. Vous savez que je suis habitué au rude climat de Londres. Ce qui m’afflige est la vue de nos montagnes et les amis que je vous laisse « .
Au village comme partout en Corse les anciens partisans de Paoli se divisent pendant la période révolutionnaire et même au sein des familles on rencontre des partisans de SALICETI et des opposants au nouveau régime.
En avril 1800, la Balagne se révolte contre la République française malgré la répression déjà subie par la Tavagna et le Moriani.
Menée par Saliceti et le général Ambert, une colonne de 800 hommes est envoyée sur Ville et Speloncato pendant qu’une autre attaque Palasca et Belgodere.
Plusieurs dizaines d’habitants sont tués et ces villages doivent payer une contribution extraordinaire sous la menace de livrer le village au pillage de la troupe.
Pour Speloncato la contribution est fixée à 6000 francs payable dans les 24 heures selon les frères Giocanti qui ont fait une relation de ces faits dans une requête adressée au Sous Prèfet sous la Restauration.
Pour avoir une idée de la somme à réunir en espèce, il faut rappeler qu’à l’époque le kilo de viande vaut environ 1 francs et la journée de travail est payée moins de 1,5 francs.
Les habitants épouvantés se réunirent dans l’église avec la municipalité et constatant l’impossibilité pour la commune de réunir une telle somme aussi rapidement décidèrent de l’emprunter aux frères Paolo Andrea et Domenico Arrighi mineurs dont les biens étaient gérés par leur grand oncle curé Giovan Bernardino.
Ces Arrighi acceptent de remettre la somme mais demandent des garanties de remboursement, et il est indiqué dans la relation des faits que compte tenu du court délai la population menaçante oblige les propriétaires Giovan Francesco Pizzini, Anton Giovanni Savelli, Pietro Maria Savelli et Filippo Maria Gioganti à cautionner ce prêt. Le tout étant enregistré par le notaire Gregorio Vitali-Savelli.
Speloncato fût ainsi sauvé du pillage.
Mais interrompons le cours de l’histoire pour évoquer un trait caractéristique de notre village.
L’IMPORTANCE DU FAIT RELIGIEUX
Au sein de ce qui était « la sainte Balagne » Speloncato s’est distingué par l’éclat et la ferveur qu’il a donné à l’expression de sa foi.
– Le 8 septembre , du village on peut admirer un phénomène naturel surprenant : le soleil en fin d’après-midi disparaît derrière la montagne et poursuivant sa course réapparaît subitement en passant par une immense pierre trouée située sur le flanc de la montagne. Ce spectacle ne peut avoir laissé indifférent nos ancêtres païens puis chretiens.
Une légende indique que le diable forgeant sur l’enclume (une roche dominant le village a cette forme caractéristique), harcelé par les habitants, a lancé son marteau si fort que celui-ci a troué la montagne.
Rien d’étonnant à ce que le 8 septembre soit célébrée aussi la fête de Santa Maria di a Pace, à qui a été consacrée par les capucins le couvent fondé par eux à Speloncato.
– Comme indiqué dans un chapitre précédent, au 15ème siècle un très grand prédicateur franciscain Guglielmo SAVELLI dit BOLANO naît à Speloncato.
A la demande du Comte Gian Paolo di Leca, il fonde en 1480 le couvent de VICO et est ensuite nommé par le Pape, évêque de Sagone le 15 mars 1481.
Resté fidèle au Comte après sa rupture avec les génois, il doit se réfugier en 1493 à Rome où le Pape le nomme vicaire de la très importante Basilique Santa Maria Maggiore.
C’est à sa demande que le Pape Sixte IV accorde l’indulgence plénière à l’église Santa Maria di Loreto et son souvenir est toujours présent dans la mémoire collective (un récent article de Nice-Matin sur le pélerinage de Santa Maria di a Pace le 8 septembre à Loreto di Casinca fait référence à ce prédicateur qui l’a institué).
– Le couvent des capucins est fondé à la demande de la communauté de Speloncato.
Son église sera consacrée en 1621 par Monseigneur Giustiniani.
On ignore si le site a été occupé par d’autres religieux avant l’implantation de cet ordre.
Ce couvent est appelé par les vieux spéloncatais : Couvent de Carignelli ou di a Lecce et parfois San Antone , mais il est officiellement placé sous l’invocation de Santa Maria di a Pace (Conventus B. Verginis Mariae Pacis Speloncati).
Le nom de Carignelli donné à la portion du territoire de la commune situé à l’ouest du couvent est probablement issu des radicaux pré indo-européen kar (rocher, escarpement) et niellu ( noir, sombre).
En 1650 le couvent est habité par trois « sacerdoti »: P. Atanasio dello Vescovato, guardiano, P. Giovanni Francesco d’Aiaccio, P. Ilario da Spiloncato; un « clerico »: frat’Illuminato da Iussani et trois « laïci professi »: fra Paciffico da Spiloncato, fra Lorenzo da Minerbio, fra Lucido dal Cagnano (I conventi cappuccini nell’inchiesta del 1650 – Intituto Storico dei Cappuccini- Roma 1985)
En souvenir du grand prédicateur Guglielmo Bolano, plusieurs des capucins installés dans ce couvent prendront symboliquement le nom de Guillaume de Speloncato.
Plusieurs moines speloncatais sont portés à la tête de la province capucine de Corse et il faut citer particulièrement le provincial Guillaume de Speloncato participant à la consulte des théologiens à Orezza en 1731 qui justifie la révolte des Corses, il sera assigné à résidence au couvent St Antoine de Bastia pendant trois ans par les génois à compter de 1733.
Les capucins sont cités comme les plus virulents parmi les religieux engagés aux côtés de la cause des corses et le couvent de Speloncato sera un lieu de réunion des nationaux pendant toute la période de la révolution corse et du gouvernement du général PAOLI. Celui-ci y résidera souvent lors de ses déplacement en Balagne.
Ce couvent sera agrandi et son église embellie au fil des ans et son caractère défensif sera aussi accentué.
Il sera saisi par l’Etat et vendu comme bien national pendant la période de la Révolution française et se dégradera très vite.
L’Archivio Generale dei Cappuccini cite les derniers moines qui l’ont occupé: le Presid. Padre Pasquale da Muro, le Vic. Padre Filippo dalle Ville, le Molto Reverente Padre Pietro Paolo da Speloncato, et les Padre Domenico Maria da Feliceto, Ignazio dalle Ville, Bonaventure da Speloncato, Filippo Maria da Belgodere, Ilario da Speloncato, Matteo dalle Ville et des Fratti laïci Desiderio da Muro, Gio Francesco dalle Ville, Gio Battista da Speloncato et Felice da Speloncato.
Nous avons retrouvé dans les documents familiaux un courrier du futur cardinal SAVELLI installé à Rome écrivant à son cousin, un de nos ancêtre Arrighi, avoir rencontré l’ancien supérieur du couvent qui avait des nouvelles inquiétantes sur l’état de délabrement avancé du bâtiment.
Le couvent sera ensuite totalement abandonné et ne sera plus qu’une ruine jusqu’à la fin du XXième siècle.
On compte parmi les spéloncatais nés au 19ème siècle quelques vocations de capucins et notamment le père Guillaume de Speloncato, né le 18 novembre 1879 et de son vrai nom Auguste MARCHI qui fut commissaire provincial de Corse après avoir été ordonné prêtre à 23 ans en 1902 en pleine tempête des expulsions. Il résidera pendant des années au couvent de Tuani, ouvert de 1920 à 1967 (date de sa fermeture définitive). Il décède le 27 février 1970.
– Le spécialiste italien de l’histoire religieuse Oreste Tencajoli rappelle dans Chiese di Corsica (Ed Desclée Roma 1936) qu’au 18ième siécle des ecclésiastiques originaires de Speloncato et résidants à Rome, en accord avec les édiles municipaux et les curés des deux paroisses demandèrent au Pape BENOIT XIV que l’église San Michele soit élevée au rang de collégiale avec deux dignitaires, un archiprêtre et un prévôt, huit chanoines, quatre bénéficiaires, un vice-curé, un sacristain et un maître de grammaire.
Les Padri del Commune di Seloncato sont à l’époque de cette requête en 1749: Giabicone Gioganti, Anton Pietro Luigi et Giovan Quilici et le procurateur nommé pour la présenter au Pape est le Très Révérent Don Giovan Luca de Marchis di Speloncato.
Selon les archives vaticanes les fonds nécessaires à cette installation seraient prélevés sur les biens et revenus annuels de San Michele et de Santa Catalina où devait résider le vice curé chargé de la direction spirituelle des âmes de cette église sous l’autorité de l’archiprêtre.
Une telle création impliquait l’existence de revenus permettant l’entretien des nombreux chanoines, ce qui était le cas à Speloncato grâce au regroupement des bénéfices liés aux différentes églises.
Mgr Casanova dans son Histoire de l’Eglise de Corse estime, sur la base des ventes intervenues pendant la Révolution, que la valeur des biens de l’Eglise de Speloncato (principalement des terrains loués) était dix fois supérieure à celle des paroisses voisines.
L’acte qui officialise la demande est daté du 12 juillet 1749 et recense les noms des 56 terrains appartenant aux deux églises.
C’est le successeur de Benoit XIV, le Pape CLEMENT XIII qui en 1766 donna l’autorisation de crée la Collégiale de L’Immaculée Conception.
Quatre collégiales seulement furent instituées en Corse au 18ième siècle (Speloncato, Corbara, Calenzana et Luri).
En 1787, sous la pression de la monarchie française, la Collégiale a été officiellement dissoute mais les membres du chapitre se répartir par parts égales les bénéfices pour continuer à maintenir le service religieux commun.
Après la Révolution, au moment de la vente des biens nationaux, c’est Joseph Malaspina qui rachète les biens mis aux enchères mais après une réunion, il accepte de les rendre au chapitre s’il est remboursé de la somme versée à l’Etat et c’est un AMBROSINI qui offrira généreusement la somme permettant ce rachat.
Mais les chanoines ayant été de nouveau expropriés, ils feront une procession solennelle le 7 novembre 1793 avec tous les habitants et le chanoine QUILICI prononça un discours applaudi par la foule aux cris de « Eviva Gesù Cristu, Eviva a nostra Santa Religione, Eviva Speluncatu » dit la chronique.
– Cette activité d’une collégiale et d’un couvent sur le territoire d’un village peuplé d’environ 700 habitants, va favoriser le développement de l’artisanat d’art au sein du village et notamment des travaux d’ébénisterie, avec bien entendu la famille des Maestri SALADINI (voir conférence sur les Saladini de Speloncato sur notre site http://www.accademiacorsa.org).
Cette activité religieuse intense va également permettre une création artistique importante au niveau des chants sacrés et une étude réalisée en 1992 par le Centre d’ethnologie française, le Musée national des arts et traditions populaires et l’Association E voce di U cumune consacre un chapitre de 100 pages aux caractéristiques très complexes des chants religieux élaborés par la communauté de Speloncato.
Cependant les historiens ont noté que bien que cette communauté soit très imprégnée de religion, au XVIième siècle pour le mariage seules comptaient la réunion des familles et la parole donnée (lo giuramento) comme dans beaucoup de communes corses. Le mariage pouvant être consommé avant la cérémonie de passage de l’anneau.
De même les mariages entre cousins (condamnés par l’Eglise mais réalisés souvent pour des raisons patrimoniales) se produisent aussi au village, ainsi un document daté de septembre 1571 indique que l’absolution est accordée à Anton et Nicola de Speloncato qui avaient oublié de demander la dispense de l’Evêque.
Dans son ouvrage sur Calvi au XVI° siècle, Battestini indique qu’à l’époque les prénoms ne sont pas tous christianisés et que dans les actes notariés les speloncatais apparaissent comme ayant beaucoup d’esprit dans leur choix : plusieurs d’entre eux se prénommant Canevecchio, Primabonavita, Scharinoio .
– De nombreuses chapelles ont été édifiées sur les chemins qui constituaient les voies d’accès au village avant la construction des routes actuelles (qui datent du Second Empire et même de la fin du XXiéme siècle pour la route du Guissani).
On peut toujours voir celle de San Filippu et de L’Annunziata, ainsi que les ruines de San Roccu.
– La confrérie de SANT’ANTONE ABBATE de Speloncato est érigée sous l’invocation de la Sainte Croix par une bulle papale d’Urbain VIII prise à Santa Maria Maggiore de Rome le 21 novembre 1632.
Ses statuts ont été étudiés notamment par Nicolas Mattei (Revue Strade n° 8 nouvelle série), qui indique : » l’extrême complexité du fonctionnement d’une confrérie comme celle de Speloncato, le sérieux et la méticulosité avec laquelle tout ce qui peut arriver est prévu, du rendu des comptes avec intervention du notaire à la codification des amendes, du rôle de chacun pour le bien de tous. Tout cela n’est pas formalisme gratuit mais vise à permettre aux confrères de mener une véritable vie de chrétiens, d’être aussi aidés matériellement quant le besoin s’en fait sentir, telle que récolte insuffisante, dépenses à l’occasion de funérailles « .
La Confrérie qui avait connu un effacement dans les années 1970-2000 est aujourd’hui très active au village et regroupe 16 confrères.
– Speloncato va compter de très nombreux ecclésiastiques parmi ses enfants et ceux-ci joueront parfois un rôle important dans l’église de Corse.
Pour en citer deux: Monseigneur Antoine ABRAINI (1743-1803), archiprêtre et chanoine de l’église collégiale, sera représentant du clergé à la deuxième assemblée des Etats de Corse en mai 1772, et Dominique ARRIGHI qui sera Vicaire Général est, en 1833, un des candidats soutenu par les Pozzo di Borgo contre le clan Sebastiani pour succéder à Monseigneur Sebastiani-Costa au poste d’Evêque de Corse, il est enterré en 1835 dans la chapelle des Comtes Peraldi à Ajaccio (cf. L’Armorial de la Corse op. cit.)
Cette présence d’ecclésiastiques influents permet de comprendre que plusieurs maisons du village furent dotées de chapelles privées dont trois existent encore.
AU XIXième SIECLE : DEUX ECRIVAINS ET UN CARDINAL
Speloncato va perdre de son importance politique comme beaucoup de villages au profit des villes.
En effet, si la population du village augmente jusqu’à atteindre plus de 1000 habitants à la fin du siècle, cette augmentation est à relativiser, puisqu’à la même époque, Bastia qui comptait 5287 habitants en 1769 passera à 11336 en 1800, 14411 en 1847 et 23397 en 1891 (cf Defranceschi op. cit.)
Son territoire est amputé au profit de Ville di Paraso par la Loi du 9 juillet 1852.
La production d’huile d’olives maintient une activité économique importante qui permet un embellissement du village par la création notamment d’une grande place ornée d’une belle fontaine, centre actuel de la vie locale.
Dans le tome IV du Dizionario Corografico universale dell’Italia consacré à la Corse édité à Milan en 1855, Speloncato est décrit comme un site escarpé qui possède une eau excellente et renommé depuis longtemps en Corse, dont la population est de 845 personnes.
L’Anthologie des écrivains corses d’YVIA-CROCE cite deux écrivains spéloncatais au XIXième siècle : Giuseppe Maria Arrighi et Romulus Carli.
GM ARRIGHI est l’auteur du Viaggio di Licomede in Corsica. Ce livre est édité en version bilingue italien et français à Paris chez Lerouge en 1806. Il est consacré à restaurer l’image de la Corse et de ses habitants.
Dans son introduction, il indique qu’il a « voulu venger la nation corse des reproches de quelques écrivains superficiels et de quelques voyageurs désabusés ».
Né en 1769, il est un petit fils de Dominique Arrighi, Conseiller d’Etat de Paoli, et fait partie des membres de la famille qui ont choisi de soutenir le républicain Saliceti. Il sera juge et Président de cession du Tribunal du département du Golo sous la République mais sera réprimandé en novembre 1797 par le président du Tribunal Correctionnel du département du Golo pour ne pas être assez répressif avec les opposants au régime. Il deviendra toutefois Président du Tribunal civil de l’arrondissement de la Balagne sous le Consulat.
Membre de la Société d’instruction publique du département du Golo fondée par F.O. Renucci et présidée par le Préfet Pietri , il y fait une conférence remarquée le 18 novembre 1804 sur l’Europe et la prospérité de la Corse ( Marco Cirni Une île entre Paris et Florence Ed. Albiana 2003 p.44).
Appelé par Saliceti, alors Ministre de la Guerre du Royaume de Naples sous le Roi Joseph Bonaparte, pour assurer les fonctions de Chef de Division de son ministère, il poursuit sa carrière sous le Roi Joachim Murat, ce qui le conduira à écrire et à publier en italien à Naples, un essai en trois volumes sur l’histoire des révolutions politiques et civiles du Royaume de Naples, édité en 1809 pour les deux premiers volumes et en 1813 pour le dernier.
Grand ami de Francesco Ottaviano RENUCCI qui parle de lui sur plusieurs pages de ses mémoires (Editions Piazzola), ARRIGHI rentrera en Corse à la chute de l’Empire et deviendra correspondant de la société centrale d’instruction publique du département de la Corse dès son rétablissement par Renucci en septembre 1818.
Renucci dit de lui qu’il était devenu après son retour en Balagne un véritable juge de paix de la province grâce à son esprit de conciliation. Il y meurt en 1834.
Cet érudit fait partie des nombreux étudiants speloncatais qui, avant comme après l’intégration à la France, ont effectué leurs études à Rome
F.X. Gherardi dans sa thèse de Doctorat (L’esprit corse au souffle du romantisme – Université Pascal Paoli – Décembre 1999) en relève plusieurs :
En Droit Civil et Canonique : Saladini lorenzo ( 1755-1756), Arrighi Giovan Bernardino ( 1757-1758), Quilici Francesco Antonio ( 1768-1770), Arrighi Domenico ( 1791-1793), et Arrighi Giuseppe Maria( 1791-1793)
En Medecine : Savelli gio francesco ( 1790-1791)
En Philosophie : Abraïni Gio Battista ( 1827-1828)
En Théologie : Savelli-Vitali Domenico ( 1818-1822)
Romulus CARLI est né à Speloncato en 1830 et a vécu jusqu’en 1909. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les moeurs de la Balagne, édités à Bastia de 1885 à 1896 notamment Coups de plume d’un enfant de la Balagne .
Il est aussi l’auteur d’un des discours prononcé à l’arrivée des cendres de Paoli le 14 septembre 1889 à l’Ile Rousse, dans lequel il rappelle l’importance de Speloncato et de ses enfants dans les combats menés par Pascal PAOLI.
Elu conseiller d’arrondissement du canton de Muro, c’est un républicain qui collaborera au Petit bastiais et à Bastia journal , dont Yvia-Croce dit dans son anthologie : » publiciste de bonne foi, Romulus Carli ne mérite pas de tomber dans l’oubli «
Deux autres auteurs ont vécu à Speloncato mais ne sont pas cités par Yvia-Croce : Fabiano Ambrosini qui à partir de 1861 va écrire de nombreux » sonetti, canzone, terzine, lamenti, ottave, quartine,ecc… » ( voir thèse de Gherardi op. cit.) et le curieux Vittore Marcucci qui s’intitule lui-même » Maître Encyclopédique en de nombreuses choses, menuisier, ébéniste » et a édité à la fin du siècle un ouvrage pour démontrer que c’est le soleil qui tourne autour de la terre et non l’inverse !
Le personnage spéloncatais qui jouiera de la plus grande renommée au 19ème siècle est le cardinal Domenico SAVELLI qui y naît le 15 septembre 1792.
Il est le fils du notaire Don Gregorio Savelli-Vitali et de Agathe Arrighi (née le 5 février 1754, elle est la fille de l’illustrissimo Signor Domenico Arrighi et de Brigita Saladini delle Ville sa deuxième épouse selon l’acte dotal établi le 29 mars 1777).
Il est ordonné prêtre en 1816 puis fait des études de théologie à Rome de 1818 à 1822 à La Sapienza.
Il devient Vicaire Général de l’évêché de Cesma en 1828, puis en 1832 le Pape Grégoire XVI l’appelle auprès de lui et lui confie des délégations apostoliques importantes et le nomme le 1er juin 1845 camérier de la chambre apostolique chargé de l’administration et de la gestion du patrimoine de l’église.
A la mort de Grégoire XVI, il est nommé par le conclave commissaire extraordinaire de Romagne avec les pleins pouvoirs pour prévenir la révolte qui couvait et le nouveau Pape PIE IX lui attribue les fonctions de Gouverneur de Rome où il se montrera si ferme envers les libéraux romains, qu’il sera surnommé Il Cane Corso.
Lors d’une manifestation hostile sous ses fenêtres aux cris de » abasso il cane corso « , il se retournera vers son entourage en disant en riant : » Il cane corso mangera i cagnolini romani » (le chien corse mangera les chiots romains).(cf. Le Memorial des Corses)
A partir de décembre 1847, il est Ministre de la police puis chargé de rétablir l’autorité pontificale dans les Marches en qualité de Commissaire extraordinaire du Pape.
Il est créé Cardinal le 7 mars 1853 responsable du Conseil d’Etat pour les finances.
Ainsi le petit fils d’un Conseiller d’Etat de la Corse indépendante était devenu un Prince de l’Eglise.
Il remet de l’ordre dans les caisses du gouvernement pontifical puis se retire à partir de 1859 de la vie publique et meurt aveugle à Rome le 30 août 1864 assisté de son confesseur, le futur cardinal ZIGLIARA, lui aussi corse.
Il avait obtenu pour sa famille une reconnaissance de noblesse et un titre de Comte romain et il fera construire à Speloncato un Palazzo qui, vendu par les héritiers vers 1950 à une famille spéloncataise, est aujourd’hui l’hôtel A Spelunca.
Un descendant de son frère, sera fait Compagnon de la libération par le Général de Gaulle par décret du 20 novembre 1944.
C’est le colonel HORACE SAVELLI, né le 27 novembre 1906, qui est mobilisé en 1939 comme lieutenant, n’acceptera pas la défaite et embarquera à Marseille pour Alger puis gagnera Casablanca et Tanger et parvenu à Londres, s’engagera dans les forces françaises libres le 25 octobre 1940. Avec une unité de cavalerie, il rejoint Brazzaville au printemps 1941 puis le 1er juillet 1942, prend le commandement de l’escadron d’automitrailleuses de la colonne Leclerc. Il débarquera avec la 2ème DB près de Sainte Mère l’Eglise le 31 juillet 1944 et s’illustrera dans la campagne de Normandie.
Après la guerre, il quitte l’armée et devient Président d’une importante coopérative agricole et Président de l’Union Nationale des Combattants. Comme plusieurs officiers, authentiques résistants, scandalisés par la perte des colonies et le traitement fait à l’armée française, il rejoindra les rangs des partisans de l’Algérie française, ce qui lui vaudra d’être condamné à plusieurs années de prison. Il décéde le 2 juin 1998 à Paris.
BONAPARTISME ET SOUVENIRS FAMILIAUX
La lecture de vieux papiers de famille permet parfois de voir revivre l’histoire de son village.
Pendant le Second Empire, bien que Speloncato soit divisé entre partisans et adversaires du Bonapartisme, l’avantage est aux partisans de Napoléon III.
Une des personnalités bonapartiste locale est l’avocat Joseph Arrighi (arrière petit fils de Domenico), conseiller général du canton de Muro, qui sera Procureur Impérial à Sartène puis à Calvi.
Opposant aux monarchistes, il avait reçu de son ami Sebastien Gavini (ils ont étudié le Droit ensemble à Aix en Provence) une lettre le 22 mars 1948 qui commence par : « voilà ton rêve réalisé, et tu dois avoir tressailli de joie en apprenant dans ta retraite de Speloncato la proclamation de la République » et se termine par un appel à faire voter pour son frère Denis candidat à la nouvelle constituante.
Il est l’époux de Marie Guelfucci de Corte, cousine issue de germain de Ernest Arrighi de Casanova, deuxième Duc de Padoue et ministre de l’intérieur de Napoléon III.
Ernest Arrighi de Casanova trouvera ainsi à Speloncato et dans l’arrondissement un ferme soutient quant il sera élu après la chute de l’Empire député de la circonscription de Calvi, siège qu’il occupera de 1976 à 1881.
Les bonapartistes spéloncatais appuieront ensuite le gendre du Prince Pierre Bonaparte, le Marquis de Villeneuve, candidat des Boulangistes à l’élection de 1889 qui battra le républicain Toussaint Malaspina de Belgodere (futur député de gauche en 1898 il fera construire dans son village le château de la Costa).
Joseph Arrighi aura une correspondance suivie, notamment sur la situation politique de la Balagne, avec son cousin et ami Tito Franceschini-Pietri secrétaire particulier de Napoléon III puis de l’Impératrice et du Prince Impérial dans leur éxil.
Malgré la mort à 23 ans du Prince impérial (le 1er juin 1879 lors d’un combat contre les zoulous) qui crée la consternation chez les bonapartistes, Speloncato résiste au ralliement à la troisième République.
Le 14 juillet 1881, des opposants au Maire Paul-André ARRIGHI voulant fêter cette fête républicaine, un affrontement a lieu et le Sous-Préfet de Calvi révoquera le maire.
Dans son rapport du 7 novembre 1881 le Sous-Préfet indiquait pour justifier sa mesure : » tout était fait pour empêcher les réjouissances , les personnes qui témoignaient ouvertement des sympathies à la République étaient insultées. L’inertie et l’indolence du Maire était calculées « .
Le Maire et Conseiller général n’avait pas oublié que le 9 novembre1870 son frère Joseph, alors Procureur, avait été révoqué de la Magistrature par le nouveau gouvernement républicain (décret signé du ministre Cremieux) pour avoir refusé d’exécuter un ordre du nouveau Sous Préfet qui lui demandait de saisir « tous les papiers de Monsieur Alessandri ancien directeur de la prison à Corte dont le domicile actuel est à Speloncato ». Son refus avait été motivé par l’absence de constatation d’un délit ou d’un crime et le stricte respect de l’article 10 du code d’instruction criminelle. Il ne sera réintégré au poste de Président du Tribunal de Calvi que le 19 octobre 1871, après un changement de gouvernement.
Pour les partisans de l’Empire la fête nationale reste fixée au 15 août (date de naissance de Napoléon 1er ). Qui se trouve opportunément être aussi la Santa Maria, fête paroissiale du village de Speloncato.
Au village, comme partout en Corse, suivant le système du « partidu – contru partidu », certaines familles qui avaient soutenu la restauration royaliste au moment de la chute de Napoléon 1er s’allient aux nouveaux républicains contre les bonapartistes issus pour beaucoup des familles qui avaient appuyé le conventionnel Saliceti pendant la période révolutionnaire.
Les diverses familles et leurs affiliés se déterminent politiquement en fonction de références idéologiques mais aussi par hostilité à une famille opposée et en fonction de services reçus ou espérés.
Seul le souvenir du Général Paoli fait l’objet d’une ferveur unanime et le retour de ses cendres le 14 septembre 1889 à l’Ile Rousse organisé notamment par Tito Franceschini-Pietri (un de ses héritiers) permet à tous les spéloncatais d’oublier leurs dissensions en entendant Romulus Carli rappeler dans son discours le combat de leurs ancêtres au côté du Babbu di a Patria.
La population de Speloncato avait atteint 1007 habitants selon le recensement de 1872, mais la fin du XIXième siècle marque le déclin dramatique de l’économie rurale corse et le début de l’exode massif qui touche toutes les familles de Speloncato sans distinction.
Les spéloncatais, faute de moyens de subsistance, rejoignent le continent français, les colonies et même pour certains les amériques.
Ces départs sont le plus souvent suivis d’épreuves mais parfois de succès et de rencontres opportunes, comme celle qui permettra à Marthe Savelli de Speloncato d’épouser le futur Maréchal Gallieni, après l’avoir rencontré à Saint Raphaël.
Certains spéloncatais vont réaliser de brillantes carrières administratives ou militaires tel Abel Malaspina, Consul de France, ou François-Xavier Ambrosini, Commandeur de la Légion d’honneur, promu Général de Division en 1906.
A la mairie de Speloncato accède Pierre LUZI, républicain modéré, descendant par sa mère Felice Arrighi d’une branche de la famille opposée à l’Empire mais aussi époux d’une des quatre filles de son cousin éloigné le bonapartiste Joseph Arrighi.
Président du Syndicat Agricole de la Balagne, il essaiera de lutter contre la dégradation dramatique de la situation agricole de la Corse et particulièrement de la Balagne oléicole.
Elu au Conseil Général de la Corse il lance en 1898 une campagne suivie par les conseils généraux du Var et des Alpes Maritimes pour protéger l’oléiculture nationale contre le commerce des huiles exotiques.
Il rédigera et fera publier les statuts d’une coopérative agricole destinée à permettre aux producteurs d’huile d’olive de lutter efficacement contre les intermédiaires, mais malheureusement, son initiative ne sera pas couronnée de succès.
Candidat aux élections législatives de 1910 contre le républicain radical Adolphe LANDRY, il sera sévèrement battu.
Comme le rappelle Jean Paul Pellegrinetti dans sa thèse de doctorat « La Corse et la République, vie politique de 1870 à 1914 » (soutenue le 2 décembre 2000 à l’Université de Nice), d’après le sous-préfet de Calvi (rapport du 25 novembre 1910), les voix s’achetaient 200 Francs pour cette élection .
Cet homme meurtri par la chute irrémédiable de l’agriculture traditionnelle corse et par la dégradation des moeurs publiques était mon arrière grand-père, et vous comprendrez qu’un corse ne puisse parler de son village sans évoquer le souvenir de ses ancêtres.
Pour l’Accademia corsa
( http://www.accademiacorsa.org )
Jean pierre POLI
mars 2004
1 Commentaire
Nicole ROBERT
très beau documentaire